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éducation classique : elle doit être jeune, forte, droite, sensée, plus raisonnable que passionnée, et, là où elle passionne, il faut que ce soit pour ce qui est à la fois simple et grand, général et généreux. En un mot, c’est une base à établir, sur laquelle chacun construira plus tard son édifice, humble ou élevé, mais cette base doit être vraiment humaine, si on veut que l’éducation soit conforme et à l’évolution normale de l’humanité entière et à celle des jeunes esprits en particulier.


II

Si la théorie de l’évolution, appliquée aux problèmes de l’enseignement, n’a encore donné que des conclusions très générales et souvent peu nettes, c’est qu’on a négligé d’introduire le moyen terme nécessaire entre l’humanité et l’individu, à savoir la nationalité. Nous allons rétablir ce moyen terme. Il ne suffit pas, en effet, que le développement de l’individu soit, comme le veulent Auguste Comte et Spencer, en harmonie avec le développement de l’humanité entière ; il faut encore qu’il soit plus particulièrement en harmonie avec le développement national, qu’il le résume et, pour sa part, y contribue.

L’évolution nationale ne peut avoir lieu sans une élite littéraire, scientifique et politique : tout peuple a besoin de savans, de lettrés et de philosophes ; tout peuple a besoin d’une classe dirigeante, capable à la fois de conserver les traditions nationales et d’y ajouter les progrès réclamés par le temps. En d’autres termes, il y a une sorte de cerveau national auquel il importe de fournir les alimens les mieux appropriés à la direction de l’organisme entier. D’autre part, une nation a également besoin d’agriculteurs, d’industriels, de commerçans, enfin d’ouvriers et de laboureurs. Mais, entre ces groupes d’hommes et de professions également nécessaires à l’évolution de l’ensemble, il y a cependant une hiérarchie, comme il y en a une dans le corps vivant entre l’estomac et le cerveau, également nécessaires à l’évolution de l’organisme. Les besoins économiques d’une nation sont encore des besoins matériels et y représentent, au fond, la vie végétative ou animale ; les besoins intellectuels, esthétiques, moraux et politiques, au contraire, sont proprement la part de la vie humaine et répondent à des nécessités supérieures. Si la prospérité économique est le grand moyen de conservation pour un peuple, la prospérité intellectuelle et morale est le grand moyen de progrès. Bien plus, à mesure que l’évolution avance, les facteurs d’ordre intellectuel et moral y jouent un rôle prédominant et deviennent même la