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suppléer, c’est le culte du beau, des lettres, des arts et de la philosophie ; c’est l’amour désintéressé des grandes choses, l’habitude de penser et d’agir pour la communauté, non pas seulement pour soi, — habitude dont les anciens faisaient leur vertu principale, parce que tout se concentrait alors dans la cité. L’idéal de l’humanité, conséquence d’une religion anthropomorphique, était sans cesse présent à leur esprit. Ils vivaient dans le commerce des dieux, c’est ce qui a produit chez eux tant de héros. C’est aussi ce qui a fait naître tant de chefs-d’œuvre dans l’art et la littérature, où l’idéal humain, en ce qu’il a de grand et de simple, est divinisé.

Non-seulement le latin représente le courant de l’antiquité encore mêlé au courant moderne, mais il représente aussi la littérature du christianisme ; — or, nous aurons beau faire, si libres penseurs que nous soyons devenus, nous avons toujours en nous l’esprit chrétien : il fait partie intégrante de notre esprit national. La foi même subsiste encore chez une notable partie de la population : elle a pour représentant tout un clergé élevé dans les lettres latines et dont l’influence n’est pas près d’être annihilée. Nos classes dirigeantes ne doivent pas, par leur culture, rester au-dessous de lui.

Une dernière condition de grandeur nationale justement invoquée par les partisans des études classiques, c’est celle qui fait des classes lettrées les dépositaires et « gardiennes naturelles de ce qu’on nomme les vertus publiques ; » or, les lettres sont devenues peu à peu et, aujourd’hui, sont presque seules les institutrices de ces vertus nécessaires à la grandeur d’un peuple. En même temps que la religion gréco-romaine divinisait l’humanité, elle divinisait la patrie, qui, plus étroite alors, était aussi plus immédiatement présente. Le patriotisme antique est encore une école précieuse pour la jeunesse de nos jours. Les vertus militaires, comme les vertus civiques, avaient dans l’antiquité un tel rôle qu’elles fournissent aux nations modernes des exemples impérissables. C’est un lieu-commun que de reprocher aux anciens leur idée trop étroite de la liberté, l’ignorance où ils étaient du gouvernement représentatif et de ses joies, la rébellion contre les tyrans remplaçant chez eux la moderne résistance au pouvoir légitime, le continuel sacrifice de l’individu à l’État, les lois somptuaires, l’uniformité de l’éducation, la servitude de la masse et la souveraineté du petit nombre, l’absolution des crimes publics par le succès et des crimes privés par la splendeur des services publics. Tout cela est vrai, et on ne saurait trop le faire remarquer aux jeunes gens. Mais la thèse des partisans de l’antiquité est vraie aussi, et ce n’est pas aux évolutionistes qu’il conviendrait de nier la valeur éducative