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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/782

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langues vivantes qui varieront avec les élèves, réduisez les études latines au minimum en les réservant à quelques amateurs de l’antiquité qui deviendront de plus en plus rares, vous aurez une France non-seulement en rupture avec son esprit national, mais en rupture avec l’esprit actuel des autres nations, qui, elles, auront conservé pour leurs classes éclairées la culture antique à côté de leur culture nationale. Nous nous serons mis ainsi en dehors du concert universel.

Le latin a cet avantage sur le grec d’avoir été une langue littérairement et scientifiquement vivante presque jusqu’à nos jours. Si, pour l’étude de l’antiquité et des origines de la philosophie ou des sciences, le grec est tout et le latin peu de chose, en revanche, pour l’étude du mouvement littéraire, scientifique et philosophique du moyen âge et des temps modernes, le latin est tout : il fut toujours la langue scientifique, dans laquelle tous les savans ont écrit leurs œuvres capitales. C’est seulement dans notre siècle que le développement de l’esprit national a fait disparaître l’usage d’écrire en latin et a élevé chaque langue aux honneurs de langue scientifique. M. Cesca va jusqu’à espérer que le progrès du même esprit de nationalité, en poussant tous les peuples à écrire dans leur langue, provoquera une réaction et finira par faire revivre le latin comme « langue des doctes. » Et de fait, tant que le mouvement scientifique a été restreint à un petit nombre de nations, on pouvait bien exiger que les hommes de sciences, pour se tenir au courant, connussent les principales langues modernes ; mais déjà, aujourd’hui, il faudrait connaître à la fois l’allemand, l’anglais, le français, l’italien, le russe, même le hollandais. Partout surgissent des universités nationales, aucune des nations ne veut dépendre intellectuellement des autres et ne veut reconnaître l’hégémonie d’autrui, chacune publie les travaux de ses savans dans sa propre langue nationale : il deviendra donc un jour impossible de connaître les travaux étrangers et de suivre le mouvement scientifique, car il sera impossible de connaître toutes les langues étrangères. Le latin étant déjà l’instrument universel de la culture littéraire et historique dans l’enseignement secondaire de toutes les nations civilisées, on en viendra peut-être à se demander s’il ne serait pas bon d’écrire les livres de science en latin, tout au moins de les traduire en latin, — à moins qu’on ne préfère le volapük !


Quoi qu’il en soit de ces rêves, si l’expérience des siècles a reconnu que les études classiques sont le moyen par excellence de culture littéraire et artistique, qu’elles sont même, avec la philosophie, le meilleur moyen d’entretenir l’esprit de désintéressement et d’enthousiasme nécessaire à la haute science, nécessaire aussi à la vie civique chez