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considérable de petites industries s’étaient créées et avaient été tolérées dans le pays plat. En 1786, l’État voulut mettre un terme à cet « abus. » En juillet 1787, il prescrivit aux chambres provinciales de taire rentrer en trois semaines dans les villes les petits industriels qui s’étaient établis sans autorisation dans la campagne. Les propriétaires nobles devaient payer une amende de cent ducats pour chaque infraction tolérée par eux.

Les chambres provinciales, la noblesse, réclamèrent de toutes parts. Le directoire général maintint ses prescriptions. Il prolongea seulement les délais, les étendit de trois semaines à cinq années. On ne devait plus tolérer dans chaque village qu’un forgeron, un charpentier, un charron, un tailleur, qui devrait autant que possible cumuler cet emploi avec les fonctions de sacristain ou de maître d’école. Cette « exécution impitoyable » suit son cours. En 1789, la chambre provinciale de Poméranie annonce que dans sa circonscription trois cent deux de ces petits travailleurs ou bien ont été refoulés dans les villes, ou bien ont renoncé à leur industrie ou sont morts.

Par l’application de semblables doctrines, l’État providence avait tué dans la nation tout esprit d’initiative ; il avait préparé lui-même les causes de la décadence et de l’effondrement de la Prusse au début du XIXe siècle.

Augustin Thierry, dans son Histoire du Tiers-État, montre combien avait été incomplet le mouvement d’affranchissement des populations rurales en France au XIIIe et au XIVe siècle.

« Et pourtant, ajoute-t-il, cette masse d’affranchis encore attachés au domaine par quelque lien et tout au moins soumis à la juridiction seigneuriale, cette population qui ne relevait point immédiatement de la puissance publique, pouvait déjà compter parmi les forces vives de la nation ; elle était comme un corps de réserve imbu de l’esprit patriotique et capable d’un élan spontané de vigueur et de dévoûment. »

On n’en eût pu dire autant des populations rurales de la Prusse à la fin du XVIIIe siècle. Quel intérêt ces paysans, dont nous avons décrit la vie misérable, eussent-ils pu prendre au sort de l’État ? Les hommes qui travaillèrent, après 1806, au relèvement de la Prusse, apportèrent, tentèrent du moins d’apporter un remède à leurs maux. C’est seulement alors que les populations rurales devinrent une force vice de la nation prussienne.


III

Aussitôt après Tilsit, le 20 juillet 1807, Schrötter, le ministre provincial, avait proposé diverses mesures pour remédier à la