Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— n’est-ce pas la plus haute fin que l’homme se puisse assigner dans la vie ? — tous ceux-là, je les appelle artistes. Aussi y a-t-il trois sortes d’artistes. Les uns poursuivent le vrai, les autres le beau, les derniers le bien. Chez les Grecs, l’enseignement du vrai et du bien ne faisait qu’un. La philosophie des sages n’était pas moins dans leur vie que dans leur doctrine. Les uns s’y prenaient en causant, comme Socrate ; d’autres en écrivant, comme Platon. » Frédéric Schlegel ne perd jamais de vue ses chers anciens. Tieck et Wackenroder, moins barbouillés de grec, empruntent leur idéal au moyen âge et à la Renaissance ; mais leur sentiment est le même. Ils se représentent avec ravissement la vie de ces artistes ignorés qui n’ont point désiré la gloire ; qui, sans connaître les luttes de la raison et les souffrances du doute, traduisaient ingénument leur foi dans leurs œuvres, et dont la vie pieuse et innocente se donnait tout entière à un art où leur âme s’exprimait librement. Ils envient cette pureté et cette simplicité de cœur : les moins naïfs des hommes, ils sont épris de naïveté. Plus le XVIIIe siècle semblait avoir perdu le sens du divin dans l’art, plus les romantiques insistent sur la parenté de l’art et du divin. C’est pourquoi aussi ils exaltent Raphaël, trop prévenus pour apercevoir ce qu’il y a de païen dans son œuvre. N’est-il pas piquant de voir les romantiques trouver chez Raphaël la sincérité de l’inspiration religieuse qu’une génération plus raffinée lui refusera et cherchera chez les préraphaélites ?

Mais l’art qu’ils placent au-dessus de tous les autres, l’art romantique par excellence, est la musique. Ils diraient volontiers, comme fera plus tard Schopenhauer, que la musique est, à elle seule, toute une métaphysique. Elle a, pour les romantiques, le mérite de tout dire, et le mérite non moins grand de ne rien expliquer. Expliquer, c’est disséquer ; on ne dissèque que sur le mort. L’idéal de l’art est la symphonie ; l’idéal de la pensée serait une « symphilosophie » (ce mot barbare est de Frédéric Schlegel) où s’uniraient la religion, l’art et la métaphysique. Mettre le cœur au-dessus de l’entendement, comme les mystiques ; sentir le réel au lieu de l’analyser, substituer à une explication toujours incomplète, et partant, fausse, l’intuition « magique » du tout, telle serait la devise des romantiques. C’est, à proprement parler, une réaction. Après une période de raisonnement et de discussion, le sentiment et l’imagination reprennent leurs droits. Le XVIIIe siècle avait âprement combattu les traditions, qu’il appelait préjugés, et la foi, qu’il nommait superstition. Les romantiques ne comprennent plus combien cette lutte a été nécessaire. Ils protestent, au nom du sentiment artistique et religieux : le mystère, l’inconnaissable, le divin, leur paraissent