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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/156

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circonstances personnelles, deviennent réfléchis, prudens, économes. Chez eux, superstition et manque de foi, frivolité de mœurs et sens de la famille, rhétorique pompeuse et goût le plus sobre, se rencontrent pareillement. C’est aux Français que s’applique le mieux la définition que donne Montaigne de la nature humaine « ondoyante et diverse. »

Le secret de tant de variations, M. Hillebrand l’a découvert dans l’opposition directe de notre tempérament infiniment excitable et de notre intelligence claire et lucide.

Notre goût de l’ordre, cette lumière de l’esprit, de la netteté, de la précision se révèle dans notre langue de plein soleil, qui écarte les ambiguïtés, les faux-fuyans, qui est la langue même des contrats et des traités. Mais cette clarté même parfois nous égare ; parce qu’elle est dans nos idées, nous sommes tentés de croire que la logique est dans la nature, et de conclure avec Descartes que toutes les choses clairement conçues sont vraies. Il faut vaincre ces dispositions de l’entendement si l’on veut pénétrer les problèmes de la vie. M. Brownell s’autorise sur ce point des critiques de M. Doudan, de M. Taine, qui a si puissamment réagi contre le rationalisme classique. « Nous ne pouvons, écrit M. Doudan, nous accommoder d’idées vagues, et l’homme qui n’a que des idées claires ne découvrira jamais rien. » — « Le Français, dit de même M. Renan, ne veut exprimer que des choses claires ; or les lois les plus importantes, celles qui tiennent aux transformations de la vie, ne sont pas claires ; on les voit dans une sorte de demi-jour. C’est ainsi qu’après avoir aperçu la première les vérités qu’on appelle maintenant le darwinisme, la France, a été la dernière à s’y rallier. » Ce même penchant rationaliste, d’après M. Brownell, incline nos romanciers à peindre les caractères non pas complexes, illogiques, comme ils apparaissent dans la réalité, mais simples, ne se démentant presque jamais. C’est surtout en politique que la méthode rationaliste présente le plus d’inconvéniens, car elle s’exerce sur la matière vivante, elle cherche à fondre l’état et la société dans le moule de ses constructions idéales, sans tenir compte des intérêts de tout ordre, et au méprisse l’expérience traditionnelle. Le danger du rationalisme devient extrême, lorsque ce genre d’esprit se joint à l’Erregbarkeit, à cette irritabilité française, comme l’appelle M. Hillebrand, qui nous engage si promptement dans les aventures, nous pousse à tout renverser, avec la certitude d’édifier aisément sur table rase avec plus de symétrie et de logique, et qui a donné à la révolution française son double aspect de rationalisme et de sauvagerie, de déesse Raison et de Guillotine.

Après le rationalisme et l’excitabilité, c’est notre instinct social qui frappe les Anglais, les Allemands, les Américains du Nord, si