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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/158

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soumission à une tutelle extérieure, à une règle précise : il est plus aisé de s’y conformer. — Toute morale française est en une certaine mesure une morale sociale. Détaché de l’église, le Français a pour le diriger dans la vie une autre religion, l’honneur. Le code de l’honneur est également simple, car la société, qui l’a créé et qui l’impose, sait ce qu’elle estime et ce qu’elle méprise ; tandis que le devoir est souvent obscur. Le connaître semble parfois plus malaisé que de l’accomplir.

De même qu’il favorise l’individualisme moral, le protestantisme, avec sa multitude de sectes, offrant un minimum de religion, se concilie plus aisément avec l’individualisme intellectuel, s’adapte d’une façon plus souple à l’évolution de la pensée moderne. L’anglicanisme philosophique, dont M. Hamerton cite de curieux exemples, ne garde de la religion que le nom et la forme (et les gros traitemens), et s’associe à la liberté mentale la plus absolue, aux derniers résultats de l’exégèse, à la parfaite indifférence au dogme. Imaginez des clergymen, pour qui l’existence d’une déité consciente et pensante semble fort douteuse et la survivance au-delà du tombeau un pur rêve, qui prétendent concilier la religiosité et la liberté d’examen, qui unissent l’agnosticisme philosophique à la morale chrétienne et n’ont conservé que le parfum du vase vide. Rien d’analogue dans le catholicisme. Les opinions personnelles en matière de dogme ne sont pas tolérées chez le laïque, ni la moindre dissidence chez le prêtre, plus tourné vers la direction des consciences et la charité que vers la culture intellectuelle. L’organisation des œuvres pratiques, des institutions charitables, est une des plus belles pages du catholicisme contemporain et compense le peu d’activité qu’il développe dans le domaine de la pensée.

En matière politique, enfin, bien que la France soit devenue depuis un siècle le théâtre de la lutte ardente entre l’esprit sacerdotal et l’esprit laïque, en réalité, l’Église catholique, qui continuait les traditions despotiques de la Rome païenne, n’a pas été sans influence sur l’État moderne, qui se tourne aujourd’hui contre elle. La révolution, par son infaillibilité, son intolérance, sa centralisation, son zèle à établir en France l’unité de pensée et l’unité de dogme, ses visées universelles, se rapproche, d’après M. Hillebrand, du catholicisme, qu’elle prétend anéantir. La domination, la tutelle excessive de l’État, substituée à celle de l’Église, ne favorise guère l’initiative individuelle, le sentiment de l’indépendance, le libre développement de l’énergie personnelle, et un peuple vaut ce que valent les individus qui le composent.

La religion romaine ne convient plus qu’à une partie du peuple français. Parmi ses fidèles, s’il faut en croire M. Hamerton, il en est dont l’adhésion est purement extérieure, tient à la mode et au