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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/17

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l’erreur, par le prestige des mots, vous réchauffez dans votre sein ce serpent mort et lui rendez une seule palpitation, à l’instant, bon gré mal gré, et enlacé que vous êtes, il faut venir à éteindre toute la vraie grâce, à tuer la vraie piété, à supprimer le péché originel, à évincer le scandale de la croix, à rejeter Christ lui-même, à dresser enfin, dans toute sa hauteur, le trône diabolique de la superbe humaine : bon gré, mal gré, il le faut. »

Quelques théologiens, pour fuir une doctrine si dangereuse, se sont jetés à l’extrémité opposée. La grâce, nécessaire au salut, n’est pas donnée suivant les mérites. Dieu, qui n’a choisi les Israélites ni pour leur nombre ni pour leurs mérites, ne choisit pas aujourd’hui ses élus parce qu’il les trouve innocens, il les fait innocens parce qu’il les a choisis, et sa justice ne trouve rien à récompenser que ce qu’a voulu sa miséricorde. Dieu est l’unique moteur. Nous avons perdu, comme Adam, tout empire sur nos appétits, et, dans l’état de nature déchue où nous sommes tous, la concupiscence, si Dieu ne nous donne une grâce spéciale, nous entraîne au mal comme par force.

Cette doctrine excessive, en faisant de Dieu l’auteur du péché, entraîne la négation de toute morale. Prétexte pour les uns d’une dangereuse confiance, elle ruine chez les autres l’espérance du salut. Les deux principes sont contradictoires ; Bossuet, qui cependant les tient tous deux pour vrais, renonce, dans un très beau langage, à l’espoir de les concilier. « Il ne faut jamais abandonner les vérités une fois connues, quelque difficulté qui survienne quand on veut les concilier ; il faut au contraire, pour ainsi parler, tenir fortement les deux bouts de la chaîne quoiqu’on ne voie pas toujours le milieu par où l’enchaînement se continue. » Pascal a dit avant lui : « La grâce sera toujours dans le monde et aussi la nature ; de sorte qu’elle est en quelque sorte naturelle, et ainsi toujours il y aura des pélagiens et toujours des catholiques, et toujours combat, parce que la première naissance fait les uns, et la grâce de la seconde naissance fait les autres. »

Deux forces sont en présence : la tentation du mal et le désir du bien. Jansénius les nomme deux délectations. Quelque nom qu’on leur donne, la plus forte l’emportera ; tout le monde en tombera d’accord avec saint Augustin. Qui réglera les deux forces ? Si Dieu se réserve la décision, s’il donne le vouloir et le faire, et que, de toute éternité, sa prescience lui fasse connaître l’issue de la lutte, aucune part n’est laissée au libre arbitre. La doctrine est celle de Luther outrée par Calvin ; on a accusé les jansénistes, qui s’en défendent, d’en accepter le principe.

Si l’homme est libre, au contraire, si, maître de ses actions et de sa volonté, il dispose à sa guise de la résistance pour l’égaler à