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l’aventurier est finie, la légende du grand serviteur de la France est à peine commencée et est déjà consacrée. L’honnête popularité de Courbet n’a pas à craindre les retours de fortune et un des traits les plus caractéristiques de cette récente commémoration d’Abbeville, c’est justement qu’autour de ce monument se sont rencontrés des représentans de toutes les opinions, M. le ministre de la marine, des délégués de la présidence et du ministère de la guerre, des conservateurs, — tous animés des mêmes sentimens, tous parlant le même langage.

C’est la preuve que s’il y a malheureusement des divisions obstinées, de cruels dissentimens d’opinion, il y a des points sur lesquels on est toujours d’accord, et cette communauté de sentimens est le signe le plus sensible de la possibilité d’un apaisement que les passions extrêmes sont seules à combattre. L’autre jour à la Rochelle, M. le président de la république recevant l’expression des vœux de concorde que lui portait le président du conseil-général, répondait que ces sentimens lui étaient chers ; il l’avait dit déjà, même avec plus de netteté, dans un autre voyage. M. le ministre de l’intérieur, sans se perdre en paroles inutiles, pratiquerait peut-être volontiers une politique de modération qu’il arrange à sa façon. M. le ministre des affaires étrangères, il y a quelques jours dans le Pas-de-Calais, parlait avec un confiant optimisme de l’apaisement qu’il croit voir partout. Sans doute l’apaisement est dans le pays, il se manifeste par ce calme universel qui règne aujourd’hui à la surface de la France. Il reste depuis un an surtout le vœu le plus profond, le plus intime de l’opinion ; il a aussi ses conditions. Quels sont ceux qui le troublent ou le menacent ? Ce sont ceux qui pour occuper leurs vacances passent leur temps à réveiller les passions de secte, qui en ce moment même ne cessent de signaler comme un péril clérical la rentrée de quelques religieux dans une maison du Havre, la lenteur des laïcisations, une lettre aussi simple que prévoyante de M. l’évêque de Saint-Brieuc au sujet des séminaristes-soldats. — Eh bien, c’est sur ces points que le gouvernement doit avoir une opinion et une direction. Tant qu’il ne sera pas plus décidé, il restera dans la position indécise et équivoque où il a été jusqu’ici, suspect peut-être aux radicaux qu’il se croira obligé de désarmer par des concessions, — suspect aussi aux conservateurs qui se croiront toujours sous le coup des retours offensifs du radicalisme. L’apaisement restera un mot bon à mettre dans les discours, une fiction peut-être passagère, une apparence. Il ne sera pas une réalité sérieuse et durable ; il ne peut le devenir que par une politique hautement avouée, résolue à s’appuyer sur la masse nationale contre les partis extrêmes, à rendre à la France, avec la paix morale, une force nouvelle et l’assurance du lendemain.

Comme tout change et s’enfuit par ces temps de révolutions ou de transformations ! Depuis un siècle, les régimes, les gouvernemens, les