Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prononcé pour le règne des députés dans l’administration, pour le régime parlementaire, qui négligeait son avancement. Il avait les instincts absolutistes. M. Haussmann avait du reste des traditions impérialistes dans sa famille, il était touché d’avance de la grâce napoléonienne. Bref, il était mûr pour être le serviteur d’un gouvernement décidé à user de la force, et le jour où la révolution de février faisait d’un Bonaparte un président de la république, puis un empereur, c’était un préfet tout trouvé pour l’action, pour les grandes circonstances, pour Bordeaux au lendemain du coup d’état, pour Paris au lendemain de l’empire. M. Haussmann, il faut l’avouer, allait à l’autocratie nouvelle d’enthousiasme, avec une confiance qui ne lui a jamais manqué, sans s’étonner de rien, de son élévation moins que de tout le reste. Il avait trouvé du coup une occasion unique de déployer ses instincts autoritaires avec un souverain qui lui laissait la liberté de se servir de son pouvoir pour tout entreprendre et parfois de suppléer à sa volonté. C’est ce qui pourrait s’appeler la genèse d’un fonctionnaire à travers les révolutions, d’un sous-préfet de la monarchie de juillet devenu, par la grâce d’un coup d’état, le premier préfet de France, chargé de transformer Paris pour la gloire de l’empire !

Que ce favori des premiers jours du nouveau règne ait été un agent aussi expérimenté qu’énergique à l’Hôtel de Ville ; qu’il ait aéré, éclairé, assaini et embelli Paris par ses vastes travaux, en ouvrant, à travers la vieille cité, boulevards et avenues, soit ! l’œuvre reste ; mais dans quelles conditions, à quel prix et par quels moyens a-t-elle été accomplie ? C’est ici précisément que se dessine dans son originalité cette figure d’un administrateur impérial. M. Haussmann a fait de grandes choses, c’est possible ; il les a faites en homme qui ne connaît ni frein ni contrôle, qui, pendant quinze ans, a disposé de tout, des lois, de l’argent, du crédit, d’un budget municipal qui égale celui d’un petit état européen, de l’autorité absolue dans son administration, du souverain lui-même. Pendant quinze ans, Napoléon III a été le dictateur de la France ; M. Haussmann a été le dictateur de Paris sous le bon plaisir impérial. Il dévoilait son secret un jour où l’on demandait au Sénat cette loi de sûreté générale que M. le maréchal de Mac-Mahon était presque seul à combattre. « A quoi bon des lois ? disait à peu près le préfet-sénateur, les hommes suffisent ! » En d’autres termes, les lois sont inutiles si on a des hommes qui ne craignent pas la responsabilité. L’ancien préfet de la Seine s’est toujours cru un homme et n’a jamais craint les responsabilités, dans ses actes politiques ou dans ses combinaisons financières. Il ne s’en défend pas, il n’était pas fait pour servir sous un gouvernement de légalité et de liberté ; il était fait pour servir sous un maître, non pas, assurément, en favori vulgaire et indolent, — en serviteur actif et résolu, âpre au travail, habile à