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quelques jours des banquets, des galas, des toasts plus familiers que politiques, des échanges de cadeaux. Puis l’empereur Guillaume a repris un peu précipitamment la mer pour rentrer en Allemagne, par Memel, et le rideau est tombé sur cette grande représentation. Les commentaires avaient devancé le voyage, ils recommenceront après l’entrevue, sans être plus clairs ni plus décisifs.

A voir les choses en toute simplicité, il est infiniment vraisemblable que ce n’est qu’un spectacle de plus offert à l’Europe, destiné à être bientôt oublié, que de cet incident un peu bruyant, il ne peut résulter rien de bien sérieux, ni pour les affaires qui préoccupent les cabinets, ni dans la situation générale. On ne peut pas dire, évidemment, que ces entrevues de deux puissans souverains cherchant à se rapprocher soient sans importance : elles ne peuvent changer la nature ou la force des choses. L’empereur Guillaume, en allant à Narva et à Peterhof, n’a certainement pas porté dans sa valise, avec ses uniformes variés, une solution de la question bulgare, le secret de la paix des Balkans. Il a pu, avant son voyage, conseiller ou faire conseiller au prince Ferdinand la modération, le détourner des coups de tête, et le prince Ferdinand, en effet, rentrant récemment à Sofia après un assez long séjour en Allemagne, a parlé avec la réserve d’un homme qui veut tout ménager ; mais, après tout, il n’en est ni plus ni moins. L’empereur Guillaume, quelle que soit sa pensée intime, ne peut se faire à Pétersbourg le négociateur d’une transaction propre à désarmer la Russie sans abandonner l’Autriche, qui a ses ambitions et ses intérêts dans les Balkans, sans paraître se dérober à ses alliances. La Russie, de son côté, n’a jamais caché et ne cache pas encore qu’à ses yeux tout ce qui se fait depuis quelques années en Bulgarie n’est qu’une œuvre révolutionnaire, une violation du traité de Berlin accomplie et organisée contre elle, — que les gouvernans de Sofia, le prince Ferdinand en tête, ne sont que des usurpateurs qui doivent disparaître. Tout ce qu’elle a pu promettre, c’est d’attendre, de ne rien précipiter, de pousser la patience jusqu’au bout, — jusqu’au moment où tout finira par éclater ! C’est ce qu’elle a fait jusqu’ici ; c’est un ajournement de la crise, ce n’est pas une solution, et l’empereur Guillaume, en eût-il la volonté, n’y peut rien ; il ne peut, avec ses alliances, avec les engagemens de sa politique, ni promettre ni refuser à la Russie les garanties de sécurité, les satisfactions de puissance ou d’orgueil sur lesquelles peut compter un empire qui dispose de 70 millions d’hommes, qui sait que rien de définitif ne se fera sans lui en Orient, fût-ce dans la petite Bulgarie.

Au fond, d’ailleurs, cette affaire bulgare n’est qu’un incident. Il y a de bien autres difficultés, de bien autres obstacles à une intimité comme celle qui a existé dans d’autres temps, entre la Prusse devenue