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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/275

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sagement assignée : celle d’un enseignement demi-primaire, demi-secondaire, préparatoire aux professions industrielles et s’adressant à ceux qui n’ont ni le goût, ni les moyens, ni surtout le temps de recevoir une complète instruction générale. Mais on ne saurait admettre que l’État bouleverse la hiérarchie dont une démocratie a surtout besoin, en couronnant des « mêmes baies de laurier » les élèves qui ont eu le mérite, ou au moins la bonne intention des études classiques, et les élèves absorbés par leurs intérêts immédiats, qui font rapidement leurs études pour faire plus vite « leur chemin [1]. »

  1. Voici, en ses traits principaux, la réforme que nous proposerions :
    Article 1er. — L’enseignement secondaire est un dans ses fondemens : 1° les lettres françaises ; 2° les lettres latines, mères des littératures modernes, et encore nécessaires de nos jours à l’unité d’esprit nationale et internationale chez les classes instruites ; 3° la philosophie ; 4° l’histoire générale ; 5° les élémens des mathématiques et de la physique. La diversité, étant donné notre état actuel au point de vue national et international, ne peut porter que sur les spécialités suivantes : grec, sciences secondaires et sciences appliquées, langues vivantes.
    Art. 2. — Le baccalauréat est unique et a pour hase les humanités, avec quatre subdivisions : 1° baccalauréat ès lettres et philosophie ; 2° baccalauréat ès lettres et sciences mathématiques ; 3° baccalauréat ès lettres et sciences naturelles ; 4° baccalauréat ès lettres et sciences économiques et industrielles.
    Art. 3. — Les classes de français, de latin, d’histoire générale et de philosophie seront communes à tous les élèves sans exception, jusqu’à la fin de leurs études. Les classes de grec admettront des équivalens dans les deux dernières années.
    Art. 4. — Dans la classe de seconde, quatre heures seront consacrées au grec, au lieu de cinq ; la cinquième heure sera ajoutée au cours de mathématiques. Des conférences facultatives de mathématiques seront instituées pour les élèves qui entrevoient déjà les carrières scientifiques.
    Art. 5. — Dans la classe de rhétorique, cinq heures au lieu de quatre seront consacrées au grec, à l’histoire de la littérature grecque et de l’art grec, pour les élève » préparant le baccalauréat ès lettres et philosophie.
    Art. 6. — Pour les aspirans au baccalauréat ès lettres et mathématiques (écoles du gouvernement) et pour les aspirans au baccalauréat ès lettres et sciences naturelles (études médicales), les cinq heures de grec en rhétorique seront remplacées par quatre heures complémentaires de sciences et une heure complémentaire de langues vivantes. En philosophie (où il y a quatre classes de philosophie pendant le premier trimestre et cinq classes à partir de janvier), une des classes de philosophie pendant le premier trimestre et deux à partir de janvier seront remplacées, pour les candidats aux carrières scientifiques, par des classes complémentaires de sciences. Celles des classes de philosophie que tous les élèves ne seront pas obligé » de suivre seront consacrées, pour les candidats au baccalauréat ès lettres et philosophie, à l’histoire de la philosophie, à l’explication des auteurs philosophiques et à des questions de philosophie complémentaires.
    Art. 7. — Pour les aspirans au baccalauréat ès lettres et sciences économiques et industrielles, les cinq heures de grec seront remplacées, en rhétorique, par trois heures complémentaires de sciences appliquées, une heure d’économie industrielle, agricole et commerciale, une heure complémentaire de langues vivantes. En philosophie, pour les mêmes élèves, une des classes de philosophie pendant le premier semestre et deux pendant le second seront remplacées par une heure de géographie industrielle et commerciale, une heure de législation industrielle et commerciale, et une heure complémentaire de langues vivantes.
    Des conférences facultatives de comptabilité et d’agronomie seront instituées en rhétorique et en philosophie.
    Art. 8. — A la fin de la rhétorique, la première épreuve du baccalauréat comprendra, pour tous les élèves : 1° une version latine (deux suffrages), afin d’assurer l’étude sérieuse du latin ; 2° une composition française (deux suffrages). Pour les candidats au baccalauréat ès lettres et philosophie, il sera bon d’ajouter une version grecque facile ; pour les autres, un thème de langues vivantes. Pour tous il y aura, à l’examen oral, une interrogation de grec et une de langues vivantes.
    A la fin de la classe de philosophie, la seconde épreuve du baccalauréat comprendra, pour tous les élèves, sans exception : Une dissertation en français sur un sujet de philosophie (deux suffrages). Pour le baccalauréat ès lettres et mathématiques, on ajoutera une composition de mathématiques (deux suffrages).
    Pour le baccalauréat ès sciences naturelles, une composition de sciences naturelles (deux suffrages).
    Pour le baccalauréat ès sciences économiques et industrielles, une composition de sciences (deux suffrages), une composition d’économie industrielle et de législation usuelle (un suffrage).
    Art. 9. — Les bacheliers ès lettres et philosophie pourront acquérir le titre complémentaire de bachelier ès sciences mathématiques, ou celui de bachelier ès sciences naturelle ? , ou celui de bachelier ès sciences économiques et industrielles, en subissant : 1° l’épreuve écrite de la composition de sciences ; 2° l’épreuve écrite du thème de langues vivantes ; 3° les épreuves orales complémentaires. Ils auront droit alors à une avance d’un certain nombre de points dans les concours pour l’entrée des grandes Écoles et des Facultés de médecine.
    D’autre pari, les bacheliers des subdivisions scientifiques pourront ajouter à leur titre celui de bachelier ès lettres et philosophie en subissant : 1° l’épreuve de grec, 2° une interrogation complémentaire de philosophie.
    Les jeunes gens dont les idées se seraient modifiées, à la fin de leurs études, relativement à leur vocation, pourront donc très facilement changer de voie et faire un choix à leur gré après quelques études complémentaires ; et ils se trouveront finalement munis d’un diplôme double.
    Art. 10. — L’enseignement spécial prendra un caractère plus pratique, au lieu de prendre un caractère classique, et il sera réduit à quatre années. Le baccalauréat de l’enseignement spécial sera remplacé par un diplôme d’études scientifiques et industrielles, en vue des professions moyennes de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. Le baccalauréat ès lettres et sciences économiques et industrielles préparera aux hautes professions du même genre l’élite lettrée, instruite et libérale dont elles ont besoin.
    Art. 11. — L’enseignement professionnel et technique sera organisé, de manière à fournir un complément naturel, tantôt aux études classiques de la subdivision économique et industrielle, tantôt à l’enseignement spécial.
    On remarquera que, dans notre système, rien n’est sacrifié et que toutes leurs études y ont leur sanction. Le grec, sérieusement étudié par les uns, sera conservé pour les autres dans une mesure suffisante, très supérieure même à ce qu’on demandait récemment aux bacheliers ès sciences. Nous faisons partout aux sciences une part plus grande que celle qui leur est laissée dans les derniers projets votés par le conseil supérieur. Nous rendons inutile l’enseignement classique français en organisant un enseignement classique des sciences économiques et industrielles, qu’on appellera d’ailleurs comme on voudra. Enfin nous donnons aux langues vivantes leur importance légitime pour tous ceux qui en auront besoin. Nous avons donc un type unique d’enseignement secondaire, avec variantes pour le grec et les sciences appliquées.
    Si, par impossible, les fanatiques de l’Industrie, du Commerce et de l’Agriculture (ces divinités du jour) ne trouvaient pas encore suffisantes les connaissances industrielles et économiques du baccalauréat que nous proposons d’introduire, on pourrait, à la rigueur, remplacer les classes de grec en seconde (peut-être même en troisième), par des classes de sciences et de langues vivantes, sur la demande motivée des parens qui déclareraient leurs enfans déjà voués à l’industrie, au commerce ou à l’agriculture. L’enseignement franco-latin, ainsi organisé, vaudrait mieux, à coup sûr, que « l’enseignement français » dont on nous menace. Il n’interdirait pas tout retour ultérieur des jeunes gens aux professions libérales, au droit, à la médecine, aux écoles de l’État, puisqu’il leur suffirait de compléter leurs études de grec. Ce serait leur seule punition pour n’avoir pas su tout d’abord ce qu’ils voulaient. Avec cinq heures de plus pour les sciences et les langues vivantes en troisième, et quatre heures de plus en seconde, on aurait de quoi contenter enfin le minotaure utilitaire, sans compromettre ni le caractère libéral ou l’unité foncière des études classiques, ni leur harmonie avec les études universellement latines des autres grandes nations. Mais, selon nous, une simple subdivision de cours scientifiques, en rhétorique et en philosophie, serait déjà suffisante.