Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plusieurs des critiques du temps, mais qui nous sont devenues complètement étrangères. Qu’est-ce que la belle forme ? Sur ce point, nous aurions peine à nous entendre aujourd’hui. Sans viser à trop de conséquence dans ses jugemens, l’auteur, on le remarque, a besoin de se montrer philosophe. Ses premières pages sont à relire : elles contiennent un exposé de principes. On y voit clairement l’influence de Cousin, et quoique M. Thiers ne semble pas avoir très bien pénétré la doctrine du maître, on reconnaît qu’il a lu ces leçons de 1818 dont M. Janet a si utilement rétabli le caractère. Il s’en inspire dans ses déclarations. Il possède la formule du Vrai, du Beau et du Bien, et la théorie de l’expression ne lui est pas étrangère. Mais ce qui paraît surtout dans ce préambule, c’est la notion de l’idéal que Cousin avait ramenée dans la philosophie française. Cependant les opinions contraires avaient aussi des interprètes convaincus. On faisait assaut d’argumens. Mais, au fond, ce que je veux observer, c’est que la critique alors n’allait pas sans beaucoup de raisonnemens ; et ce n’était pas son privilège exclusif.

En même temps, en effet, un phénomène nouveau se produisait dans les arts. L’esprit de système commençait à s’y manifester avec une grande énergie. Jusqu’ici cet esprit avait été particulier à la philosophie ; mais déjà les artistes prétendaient ne plus travailler qu’appuyés sur des théories. Le romantisme en comportait beaucoup. Il ne se bornait pas à vouloir étendre, au profit de l’imagination, le domaine des choses permises et à ouvrir plus largement le champ de la fantaisie. Il ne se contentait pas de s’inspirer librement de faits quelconques et de considérer la laideur à l’égal de la beauté. Il y avait aussi, dans ses programmes, une large part faite à la science et à l’histoire. Que de points de vue différens ! Et avec cette idée qu’une seule qualité, comme un seul genre, suffit à glorifier un artiste, que de sectes possibles et combien de personnalités à venir !

Par suite, il devait en être des artistes comme des philosophes, qui ne semblent des chefs d’école que s’ils sacrifient tout à un seul côté des choses, l’esprit à la matière ou la matière à l’esprit. Jusque-là, il avait paru que, pour être un maître, on dût posséder toutes les parties de son art. On croyait que la perfection résidait dans un ensemble de qualités et dans leur harmonie. Mais en 1822 on commençait à ne plus vouloir admirer dans l’art que des qualités isolées : la couleur sans le dessin ou le dessin sans la couleur. La pondération des mérites excitait le dédain et ne paraissait qu’une médiocrité déguisée. On avait comme un besoin d’excès, de protestations et de ruptures, d’affirmations et de négations