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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/354

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amour. Cette attention scrupuleuse aura-t-elle exercé quelque influence sur les artistes dont l’avenir lui était confié ? Je le crois ; car il me semble que son passage à la villa Médicis a été parmi les plus honorables et peut-être les plus brillans. Il était de retour à Paris depuis deux ans, au moment de l’Exposition universelle de 1855, et il eut la satisfaction de voir plusieurs des pensionnaires dont il avait pris soin y paraître avec succès. Plus tard, quelques-uns d’entre eux devinrent, à sa grande joie, ses confrères à l’Académie des Beaux-Arts.

J’ai besoin d’insister sur le caractère de notre directeur et sur la manière dont il exerçait son autorité. En revoyant la villa Médicis après plus de vingt ans, M. Alaux trouva sans doute que bien des choses y avaient changé. Ce n’était plus tout à fait le règlement qu’il avait connu, et l’esprit des pensionnaires, si intéressant à suivre, n’était pas celui de ses contemporains. Quand il avait quitté l’académie, on y réagissait discrètement contre l’abus de l’antique, et au moment où il venait la diriger, on y cherchait de plus en plus à retremper l’art dans l’étude de la nature. Il ne s’agissait plus de dieux ni de héros ; on songeait moins à la belle forme et davantage au caractère ; et l’on se préoccupait du grand art de la décoration. Tous les dix ou quinze ans, l’esprit de l’institution se modifie ; cependant le principe sur lequel elle repose et l’objet qui lui est assigné restent les mêmes. En admettant que les idées représentées par la génération d’artistes à laquelle appartenait M. Alaux aient été celles de Guérin, depuis, on avait vu le directorat d’Ingres, dont la physionomie fut tout autre. Le mouvement que M. Alaux favorisait, continué sous la seconde administration de Schnetz, a eu aussi sa particularité et sa portée.

Pour nous, on a pu le voir, nous étions des esprits faciles à émouvoir, peu au courant des choses mais, je crois, sincères. Sans parti-pris et sans systèmes, nous vivions soumis à nos impressions. Mais nous étions amoureux de la vérité et soucieux de ne pas compromettre, par notre faute, la neutralité de l’art. Notre directeur ne nous parlait jamais de son temps pour nous le donner en exemple. Il ne nous imposait rien du passé, et ne troublait pas cette fête de la jeunesse qui consiste à chercher, pour toutes choses, des formules neuves. Il se soumettait simplement à la loi qui veut que tout recommence. Tel fut M. Alaux. Il n’aimait pas la jeunesse à demi : il l’aimait avec l’imprévu qu’elle apporte avec elle.

Son existence, à dater de son retour, fut simple et retirée. Dans son petit appartement de l’Institut, entre sa famille et ses amis, il continuait sa vie personnelle, que rien n’avait interrompue, mais qui pendant sa direction avait pu nous échapper. On n’en vit jamais de plus digne ni de plus modeste. Il travaillait aspirant toujours au