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où leurs habitudes surannées effaçaient et compensaient leur expérience militaire. Les officiers entrés au service depuis la paix ne rachetaient point par l’expérience, l’étroitesse d’esprit, résultat naturel des misères d’un état de paix prolongé ; enfin, la légion des jeunes officiers frais émoulus du bien noble paternel apportait tous ses préjugés de caste et une éducation intellectuelle généralement peu soignée. Et, cependant, le mouvement intellectuel de l’époque avait fait sentir son action et propagé ses tendances idéalistes, même dans ce milieu. Scharnhorst avait organisé, en 1803, à l’institut de Berlin, un enseignement complet, créé un cercle militaire, où l’échange des idées était fort actif. Les cours de philosophie n’y faisaient point défaut. Gneisenau et Boyen étaient poètes à leurs heures et nous ont laissé des vers ; Boyen avait suivi, en Prusse, les leçons de Kant et de Kraus. Ce furent précisément les hommes qui avaient accueilli, dans l’ancienne armée prussienne, les tendances idéalistes de l’époque nouvelle, qui entreprirent, après le désastre, l’œuvre de la réforme.

Scharnhorst surtout avait, jusque dans son apparence extérieure, beaucoup plus du philosophe que de l’homme d’action. Il semblait, à voir sa mise négligée, sa chevelure éparse, son attitude gênée et renfermée, son inaptitude aux rapports avec les hommes, que ce fût moins un chef militaire, qu’un esprit méditatif absorbé dans le culte de la science et de la théorie. Cependant, de Lübeck et d’Eylau au champ de bataille de Grossgörtschen, sur lequel il succomba, dans cette action commune qui le lia étroitement à Blücher, il sut donner tort, plus d’une fois, aux adversaires, de toute origine, qui ne voulaient voir en lui qu’un théoricien. Il est curieux de suivre dans cet esprit méditatif, bien allemand, où les qualités de réflexion s’allient à quelque exaltation, l’action du temps et des événemens, et la formation même des idées qui devaient présider à la réforme militaire.

Nous avons de lui un écrit, daté de 1792, où il défend les armées permanentes contre le courant d’idées humanitaires qui en sapait, à cette date, en Allemagne, assez vigoureusement l’existence. Très attentif au mouvement politique de son époque, il rattache ses idées sur les armées permanentes à des conceptions plus générales et très arrêtées. Dans les régimes démocratique et aristocratique, dit-il, l’idée de l’intérêt général disparaît ; chacun ne songe plus qu’à soi. Il combat résolument l’idée de la a nation armée, » opposée aux armées permanentes. Il faut, dit-il, pour la conduite de la guerre, des connaissances et une expérience qui ne s’acquièrent pas en un jour. Et, vers la même époque, répondant à Berenhorst, qui soutenait que le patriotisme et le sentiment