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ses plus proches parens, il nous suffira de nommer sa cousine, la célèbre lady Mary Wortley Montagu, de dix-sept ans plus âgée que lui, et sa sœur Sarah, auteur d’un roman, David Simple, pour lequel le grand frère a fait une préface.

Henry Fielding perdit sa mère de bonne heure. Après avoir été confié quelque temps à un pasteur de village, il fit ses premières études à Eton. Ce qu’il est intéressant de noter, à propos de l’éducation scolaire de Fielding, c’est sa remarquable culture classique, fort supérieure à celle des deux romanciers, ses contemporains et ses rivaux, Smollett et Richardson. « Je possède l’italien et le français, dit-il lui-même dans de petits vers adressés à Robert Walpole, j’écris en latin et je lis le grec. « Il le lisait assez pour entreprendre, en collaboration avec un ami, une traduction d’Aristophane dont le commencement seulement fut exécuté. Le savoir littéraire de Fielding ne va pas sans un peu de pédantisme. A tout propos, et quelquefois hors de propos, il aime à faire parade des belles citations dont sa mémoire est meublée. Les moins bonnes digressions du roman d’Amelia procèdent d’une complaisance de ce genre. Dans une invocation à la Muse, qui ouvre le XIIIe livre de Tom Jones, l’auteur énumère tous ses grands modèles : « Viens, toi qui as inspiré ton Aristophane, ton Lucien, ton Cervantes, ton Rabelais, ton Molière, ton Shakspeare, ton Swift, ton Marivaux… » De cette liste deux noms surtout sont à retenir, Shakspeare et Cervantes ; c’étaient, entre tous les autres, ses auteurs favoris. Sa profonde admiration pour Shakspeare, l’intime connaissance qu’il a de ses œuvres, méritent bien d’être remarquées dans un siècle dont nous méprisons beaucoup trop le sens critique en littérature ; il est vrai que Fielding ne commente le texte de Shakspeare ni comme les philosophes de l’avant-dernière mode, ni comme les philologues d’aujourd’hui : il le goûte à la bonne et vieille manière, littérairement. Quant à Cervantes, voilà certainement, de tous les grands maîtres de la pensée et de l’art, celui auquel Fielding doit le plus et ressemble le plus ; ressemblance et dette qu’il ne songe pas à cacher et qu’il avoue jusque dans le titre de quelques-uns de ses ouvrages.

Au sortir d’Eton, Fielding avait dix-sept ou dix-huit ans. Il était d’humeur amoureuse et entreprenante, s’il est vrai qu’il tenta d’enlever vers cette époque une demoiselle Andrew. L’insuccès de cette passion lui inspira son premier essai littéraire, une traduction en vers burlesques de la sixième satire de Juvénal. Nous le voyons ensuite à l’université de Leyde, où il commença l’étude du droit et écrivit les premières scènes d’une comédie, qui fut jouée plus tard, Don Quichotte en Angleterre. Cependant son père, le général, s’était remarié, lui donnant une suite de frères et de sœurs