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de questions, sinon à nous faire perdre parmi les détours infinis la trace toute droite de la vérité ? Ces pécheurs subtils et ingénieux qui tournent l’Évangile de tant de côtés, qui trouvent des raisons de douter sur l’exécution de tous les préceptes, qui fatiguent les casuistes par leurs consultations infinies, ne travaillent ordinairement qu’à nous envelopper la règle des mœurs. Ce sont des hommes, dit saint Augustin, qui se tourmentent beaucoup pour ne pas trouver ce qu’ils cherchent ; ou plutôt ce sont ceux dont parle l’apôtre, qui n’ont jamais de maximes fixes ni de conduite certaine, qui apprennent toujours et cependant n’arrivent jamais à la science de la vérité. À Dieu ne plaise que nous croyions que la doctrine soit toute en questions et en incidens ! L’Évangile nous a donné quelques principes, il nous a appris quelque chose, son école n’est pas une académie où chacun dispute ainsi qu’il lui plaît. Qu’il puisse se rencontrer quelquefois des difficultés extraordinaires, je ne m’y veux pas opposer ; mais, pour régler votre conscience sur la plupart des devoirs, la simplicité et la bonne foi sont deux grands docteurs qui laissent peu de choix indécis pour subtiliser sans mesure. Aimez vos ennemis ! Faites-leur du bien ! Mais c’est une question, direz-vous, ce que signifie cet amour, si aimer ne veut pas dire, ne les haïr point ; et pour ce qui regarde de leur faire du bien, il faut savoir dans quel ordre, et s’il ne suffit pas de venir à eux après que vous aurez épuisé votre libéralité sur tous les autres ; et alors ils se contenteront, s’il leur plaît, de vos bonnes volontés. Raffinemens ridicules ! Aimer, c’est à dire aimer.

« Qui donc a produit tant de doutes, tant de fausses subtilités sur la doctrine des mœurs, si ce n’est que nous voulons tromper et être trompés ! De là tant de chicanes et tant d’incidens qui raffinent sur les chicanes et les détours du barreau. Tout cela pour obscurcir la vérité. C’est pourquoi saint Augustin a raison de comparer ceux qui les forment à des hommes qui frappent sur la poussière et se jettent de la terre aux yeux. Eh quoi ? vous étiez dans le grand chemin de la charité chrétienne, la voie vous paraissait toute droite, et vous avez soufflé sur la terre ! Mille vaines contentions, mille questions de néant se sont excitées qui ont troublé votre vue comme une poussière importune, et vous ne pouvez plus vous conduire : un nuage vous couvre la vérité, vous ne la voyez qu’à demi. »

Ainsi parle Bossuet. Ainsi pourrait parler le casuiste le plus subtil. Nos études, dirait-il, doivent porter sur l’exception ; plût à Dieu qu’aucun d’entre vous n’eût d’hésitations et de doutes ou qu’il sût les résoudre tout simplement, par l’application courageuse de la règle. Mais, comme le dit Bossuet, il peut se rencontrer des difficultés extraordinaires ; le casuiste, bien ou mal, mais le mieux