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dèle. Ils savent de quel mépris il est digne, et les confesseurs ne manquent pas de lui prescrire, comme les prédicateurs de lui enseigner, une morale plus noble et plus haute.

Les plus rigides connaissent la faiblesse humaine et, sans rien accorder au démon, savent qu’il doit triompher souvent.

Les plus relâchés prévoient les mêmes défaites, blâment les mêmes faiblesses et condamnent les mêmes fautes.

La différence est qu’ils s’en indignent moins. Ni pour les uns, ni pour les autres, il n’existe, dans le champ du mal, de séparations et de limites.

Les péchés sont inégaux ; tous également en conviennent ; tous les partagent en deux classes : les uns sont mortels, les autres ne le sont pas ; mais on doit faire de grandes différences entre ceux qui portent le même nom. Le plus grave des péchés véniels, il ne peut en être autrement, pour peu qu’on l’accroisse, deviendra mortel. Le plus léger entre les péchés mortels, pour peu qu’on l’atténue, deviendra véniel. Ce sont là vérités de définition ; la contestation est impossible.

Les théologiens, trop souvent, ont méconnu la nécessité de cette transition insensible. On peut cependant, dans presque tous les cas, réduire la preuve en forme.

Je traverse une vigne. Je goûte un raisin ; c’est un vol, mais le péché est véniel. Je suis tenté, et je cueille la grappe. L’enfer, pour cela, ne me menace pas. Le péché s’aggrave, mais reste véniel ; une seconde grappe succède à la première, une troisième à la seconde, jusqu’à remplir un panier ; si le panier est remplacé par une voiture, si je dérobe la vendange, le péché sera sans difficulté mortel : il était véniel au début. La grappe que je cueillais au moment où le changement s’est accompli marque la limite. Un grain seul peut servir de borne.

La confusion du péché qui n’est pas mortel, et que l’on doit absoudre après confession, avec les actes que la conscience permet, qu’on peut commettre sans scrupule et sans offenser Dieu, est un sophisme sans cesse répété à l’occasion des casuistes. Jamais Pascal n’a fait la distinction. La remarque est importante, et je la crois nouvelle.

Mercedes se mariera dans un mois. Escobar la dirige et lui donne d’excellens conseils. Elle doit, jusqu’à la bénédiction nuptiale, imposer à son fiancé la plus respectueuse réserve. Mercedes s’étonne et se montre blessée qu’on doute d’elle. Elle vient cependant quelques jours après confesser sa faiblesse. Escobar la reçoit fort mal : « Ce que vous avez fait, dit-il, est bien laid et bien honteux. Vous méritez une sévère pénitence. » Il la lui impose sans refuser l’absolution.