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le petit-fils d’un électeur de Hanovre; il a joué avec lui ; il l’a même battu et lui a arraché les cheveux. Le gamin, devenu si grand prince et qui fait le solennel, l’exaspère. Il l’appelle : « Mon cher frère le comédien, » ou bien encore : « Mon cher frère le chou rouge. » Il vomit contre lui des injures qui ne peuvent être répétées. Quant à Auguste II de Pologne, il ne l’appelle jamais autrement que « le porte-manteau. » Sa façon de passer sa mauvaise humeur contre ces princes est strictement enfantine. Il casse à coups de canne un service de porcelaine, parce qu’il vient du roi de Pologne. Malade et repassant avec fureur ses griefs contre l’Angleterre, il se souvient qu’il a, dans ses écuries, un cheval que lui a donné le roi d’Angleterre ; il ordonne de chasser cette bête. On lui conseille de la donner plutôt au prince d’Anhalt, « ennemi de tout ce qui est anglais ; » il consent et pense que « ce sera se venger parfaitement. » Une autre fois, il refuse des passeports pour des bois destinés à l’Angleterre[1].

On ne peut appeler perfide un homme qui publie à tout propos ses sentimens. L’Europe sait ce qu’il pense : il le crie. Sur tout, et sur tous, il s’exprime avec une absolue liberté. L’empereur même n’est pas épargné. De sa majesté impériale, il rit « à gorge déployée. » « Il n’a pas le sol, dit-il ; il est pauvre comme un peintre. Voilà la f.... économie de la cour de Vienne! » Dans sa tabagie, à table, il manifeste sans arrêt, la pipe ou le verre en main. S’il est content de l’empereur, il boit trois lois de suite à sa majesté, en faisant chaque fois rubis sur l’ongle, et fatigue de ses santés le ministre impérial, au lieu qu’il ne boit au roi de France qu’au bout d’une heure et demie, et n’honore pas le pauvre La Chétardie du moindre toast. Un autre jour, il boira au roi de France et omettra la santé de l’empereur. Il a fait à la France plus d’une caresse, et il a toujours pris soin de la ménager, mais il la hait et ne peut s’en cacher. Le premier jour où il a reçu La Chétardie, il lui a parlé de tout, à son habitude, des troupes françaises, du gibier de France, du vin de Champagne, des maréchaux, des points faibles de Magdebourg, du molinisme, du jansénisme, du parlement, et, tout d’un coup, en se mettant à parler du nez : « Pourquoi donc, demande-t-il à La Chétardie, les Français d’autrefois étaient-ils graves et posés, et aujourd’hui sont-ils presque tous des comédiens[2] ? »

Dans la politique étrangère, comme dans le gouvernement, le roi de Prusse par le donc et agit avec la liberté et le sans-façon d’un particulier. Ce n’est pas un chef d’état qui est en relation avec

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1726, 19 et 23 février, 21 juin; 1727, 28 août.
  2. Id., 1730, 7, 23 et 29 avril; 1731, 28 août; 1732, 23 août ; 1733, 31 mars.