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manquant de vertu ? Que signifie la parabole du mauvais riche ? Il ne saurait suffire au chrétien d’éviter les excès crians et les désordres graves, en un mot, les péchés mortels. Pascal veut l’ignorer.

Déclarer qu’un péché n’est pas mortel est une décision assimilée, dans les Lettres provinciales, à l’autorisation et au conseil de le commettre s’il en prend envie. La différence est grande cependant. J’ouvre à l’article mensonge un traité de théologie morale ; quoique l’auteur soit jésuite, c’est Leyman, je n’y trouve pas que la calomnie soit permise, mais le mensonge souvent n’est pas péché mortel, suivant Leyman.

Suivons, sur un exemple, les conséquences du principe.

— Les règlemens d’un port de mer imposent quarantaine aux navires quand ils ont fait relâche dans une région suspecte.

Girolamo a traversé l’un des pays désignés ; aucun cas de maladie contagieuse n’y a été signalé ; il en est certain. La règle cependant lui impose une quarantaine. Il fait, pour s’y soustraire, une déclaration mensongère.

Comme il est pieux et tient à son salut, il entre à l’église des jésuites et se confesse à Leyman lui-même du mensonge qu’il a commis.

Le père ne lui dit nullement : « Votre cas est prévu. Vous n’avez pas offensé Dieu, allez en paix, et ne craignez rien de sa justice. » Telles seraient, suivant les Lettres provinciales, les maximes de la compagnie. La vérité est très différente.

Leyman, bien loin de là, blâme le mensonge, s’étonne qu’un homme consciencieux, honnête, soucieux de la religion, ait pu s’abaisser ainsi à trahir la vérité. Il lui demande quel intérêt pressant l’a engagé à commettre une faute aussi honteuse et un péché qui, sans être mortel, n’est pas d’un honnête homme. Girolamo allègue qu’un retard, en compromettant ses affaires, pouvait lui faire perdre des milliers de piastres.

Le père alors, docile aux règles posées dans son livre, lui dit : « Vous avez, par désir du lucre, commis un péché ; il n’est pas mortel, mais il faut l’expier. Vous donnerez, avant de quitter la ville, 100 piastres aux pauvres de l’hospice. »

Telle est l’exacte interprétation de la décision du casuiste.

Comment l’imprudent qui, sans être un ami des adversaires de Pascal, oserait, pour rester impartial, reprocher à l’auteur des Provinciales une faute aussi grave contre la justice, serait-il traité par les admirateurs de toute ligne tombée de sa plume ?

J’espère qu’on voudra bien me l’apprendre.


J. Bertrand