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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/635

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le maréchal d’Estrées vint à son tour mettre à la raison les incorrigibles Tunisiens. Sans tirer un seul coup de canon, rien qu’en faisant manœuvrer la flotte française en vue de La Goulette, le descendant de la belle Gabrielle obtint en faveur du commerce français une indemnité pécuniaire assez forte et l’autorisation de créer un comptoir au cap Nègre. Ce fut vers cette époque, nous apprend M. Rousseau, c’est-à-dire en 1685, que les pères de la Rédemption de Flandre vinrent à Tunis pour racheter les captifs. Après avoir brisé les fers d’un grand nombre de ces infortunés, les pères se rendirent à Alger dans la même pensée de charité[1]. En 1724, une escadre française, commandée par le vicomte d’Andrezel, se présenta devant Tunis; elle y lut saluée de quatorze coups de canon. Le bey régnant, Hussein, un des ancêtres du bey actuel, reçut notre compatriote avec la plus grande distinction ; il le fit promener dans ses carrosses, et, honneur insigne, il le prit par la main pour lui faire visiter ses jardins. N’y avait-il donc plus d’esclaves à Tunis? Les bancs des galères étaient-ils sans leurs rameurs habituels? Il y en avait toujours, car c’est à partir de 1724 que les missionnaires capucins qui desservaient la chapelle du consulat de France vinrent se loger dans le bagne dit de Sainte-Croix, bagne attenant à ce même consulat, pour y assister les captifs chrétiens qui s’y trouvaient détenus. Combien tout cela, aujourd’hui, paraît monstrueux ou incompréhensible! Autre anomalie : le savant naturaliste Peysonnel arrivait alors en Tunisie et obtenait du bey l’autorisation d’en étudier la faune et la flore. Il n’y fut jamais inquiété.

C’était trop beau pour qu’une telle paix durât longtemps. Ali-Pacha, le successeur d’Hussein, ayant épuisé son trésor en querelles intestines, trouva commode d’en remplir les vides en pratiquant ce qui lui procurait le plus clair de ses revenus, c’est-à-dire en lançant ses vaisseaux sur les bâtimens de commerce marseillais, qui, seuls alors, sillonnaient la Méditerranée. De plus, Ali-Pacha, après avoir outragé notre consul, ordonna à ses soldats de détruire de fond en comble le comptoir qu’il nous avait été permis d’ouvrir au cap Nègre. Cet établissement, propriété de la Compagnie royale d’Afrique, fut saccagé, pillé, démoli, et l’on conduisit prisonniers à Tunis ceux qui s’y trouvaient. Pour venger de tels outrages, la France envoya sur les côtes de l’Algérie deux frégates et deux barques de guerre dont les croisières, mal conduites, ne purent même pas empêcher la prise de plusieurs de nos bâtimens richement chargés. Plus malheureusement encore, M. de

  1. Annales tunisiennes. Paris; Challamel.