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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/637

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coup de canon, elle n’obtînt ce qu’elle venait demander de la régence : restitution des navires indûment saisis, mise en liberté des esclaves faits en Corse et paiement d’une forte indemnité. Voici par quelle singulière circonstance la guerre eût pu être évitée, et si j’en reproduis littéralement les détails d’après un historien tunisien[1], c’est pour conserver tout son caractère aux mœurs beylicales de cette époque.

« Le fait suivant, écrit l’historien, prouvera que chacun des actes de la vie de notre maître semblait être marqué au coin du bonheur.

« Quelque temps avant la guerre avec les Français, il avait traité avec un capitaine de cette nation pour aller chercher à Constantinople de jeunes et belles esclaves qu’il destinait à son harem particulier, ainsi qu’à celui de son fils, l’illustre Hamouda-Pacha. Plusieurs de ses favoris et quelques femmes d’un âge mûr, chargés du soin de ces achats, avaient pris passage sur le navire du capitaine en question. Or, à l’époque où ce bâtiment quittait Constantinople pour effectuer son voyage de retour, la guerre était déclarée, on pouvait donc craindre, avec quelque raison, que sa riche cargaison, ainsi que les personnes qui veillaient sur elle, ne devinssent la proie de l’ennemi. Les inquiétudes étaient telles qu’il fut un instant question de traiter tout de suite avec les Français sans attendre le retour du navire, afin d’invalider sa capture dans le cas où elle aurait lieu en mer ou aux atterrages. Au milieu de ces préoccupations, on apprit qu’il était arrivé à bon port à Monastir par le seul fait du hasard, et sans que son capitaine connût l’état de guerre qui venait d’éclater entre Tunis et la France. Le caïd de Monastir écrivit aussitôt à notre maître qu’il avait fait descendre à terre tous les passagers des deux sexes et qu’il avait fait mettre aux fers le capitaine et l’équipage français. À cette nouvelle, la joie fut grande à Tunis, et chacun voulut voir dans cette bonne fortune de notre maître un heureux présage de ses succès futurs contre ses ennemis. Les prisonniers furent employés, par ordre de notre maître, aux travaux de la poudrière, pour aider ainsi, de leurs propres mains, à la confection des matières qui devaient donner la mort à leurs compatriotes. »

L’arrivée malencontreuse à Monastir du navire conduisant au bey son harem fit que Porto-Farina, Bizerte et Sousse subirent le bombardement de l’escadre française. Le port de La Goulette et Tunis échappèrent à la destruction. Ce fut un bien, car un émissaire du sultan étant intervenu fort à propos, la France et la régence signèrent un nouveau traité de paix dans des termes honorables

  1. El-Hadj Hamouda ben Abd-el-Aziz, historien tunisien de la fin du XVIIIe siècle.