apparence de misère. Pierre Loti, dans le récent voyage qu’il vient de faire dans cet empire, raconte ainsi son entrevue avec un archimillionnaire : « Voici notre ami d’hier qui vient à notre rencontre, averti sans doute par la rumeur de la foule saluant notre arrivée. Il a toujours sa jolie figure douce, mais vraiment, pour un millionnaire, il est bien mal mis : une robe fanée, unie, incolore, quelconque. C’est l’usage, paraît-il, pour ces juifs riches, d’affecter dans la rue ces airs simples. La porte de sa maison est bien modeste aussi, toute petite, toute basse, au bord d’un ruisseau plein d’ordure... Mais, au dedans, nous nous arrêtons saisis devant un luxe étrange, devant un groupe de femmes couvertes d’or et de pierreries, qui nous accueillent souriantes au milieu d’un décor des Mille et une Nuits. »
J’ai dit qu’en Tunisie les familles Israélites ne craignaient plus depuis notre protectorat d’exhiber de riches vêtemens. Au temps déjà loin où elles étaient ainsi persécutées, elles laissèrent de côté, comme peu lucratifs en les exposant trop souvent à travailler sans salaire, les métiers manuels dans lesquels elles excellent et surtout dans celui d’orfèvre. Les hommes s’adonnèrent plus spécialement aux opérations de banque, aux ventes en gros et aux achats à bon marché; les femmes, pour ajouter encore aux richesses de leurs maisons, filèrent et tissèrent chez elles le lin, la laine et la soie.
Ce ne fut qu’en 1823, et grâce à l’énergie d’un consul anglais, que les juifs étrangers à la régence obtinrent l’autorisation de porter tels habits et telle coiffure que bon leur semblait. Quant aux juifs indigènes, ils n’obtinrent la permission d’échanger leur bonnet noir contre un bonnet blanc que longtemps après 1823 et en achetant cette singulière faveur par de grosses sommes. Leur sort s’améliora en 1855, à l’avènement de Mohammed-Bey, qui les fit entrer dans le droit commun. Il n’y eut plus, dès lors, de différence fiscale entre eux et leurs concitoyens musulmans.
Malgré ces réformes, la vie et la fortune des fils d’Israël dépendaient d’un caprice du bey, et c’est à notre consul général de France, M. Léon Roches, qu’en 1855 ils durent la charte qui reconnaissait l’égalité absolue de tous les Tunisiens, sans distinction de religion, et l’exercice libre et sans entrave de tous les cultes en Tunisie. Voici à quel propos : un juif, né à Tunis, fut condamné à mort par le tribunal du cadi pour avoir proféré quelques paroles outrageantes contre la religion musulmane. Les chrétiens, qui se sont toujours joints aux Israélites toutes les fois qu’une injustice se commettait, firent tout ce qu’il était humainement possible pour sauver le blasphémateur. En même