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Paris. Il semble bien qu’elle arrivât de province; et c’était celle dont Alexandre Hardy, depuis déjà quelques années sans doute, était le poète à gages ou le fournisseur attitré : « M. Corneille nous a fait un grand tort, disait plus tard une comédienne en renom; nous avions ci-devant des pièces de théâtre pour trois cens, que Von faisait en une nuit; on y était accoutumé et nous gagnions beaucoup : présentement, les pièces de M. Corneille nous coûtent bien de l’argent, et nous gagnons peu de chose. » On jugera sur ces paroles de la situation d’Alexandre Hardy; et, à raison de 3 écus la pièce, on ne s’étonnera peut-être plus qu’il en ait fait cinq ou six cents, mais plutôt qu’il n’en ait point fait davantage. De ces cinq ou six cents, il n’en a d’ailleurs, heureusement pour nous, imprimé qu’une quarantaine : soit, neuf « poèmes dramatiques, » dont il y en a huit de consécutifs, tirés des Chastes et loyales Amours de Théagène et Cariclée ; cinq « pastorales ; » quinze « tragi-comédies; » et douze «tragédies. » Admirons ici le courage de M. Rigal, qui ne les a pas seulement lues, mais analysées, l’une après l’autre, et beaucoup plus longuement, à notre avis du moins, qu’elles n’en valaient la peine.

Il alléguera sans doute, pour sa défense, que peu de gens, même parmi ceux qui en ont parlé, semblent avoir lu le théâtre d’Alexandre Hardy; et je conviens avec lui qu’il y paraît assez, rien qu’à la manière dont ils en ont parlé. C’est ainsi que, pour avoir tiré des Nouvelles de Cervantes, trois pièces en tout sur quarante et une : Cornélie; la Force du sang, la Belle Égyptienne; une autre d’un autre recueil espagnol; et une cinquième enfin, sa Félismene, de la Diane de Montemayor, on lui reproche d’avoir effrontément pillé le répertoire de Lope de Vega. — Je ne dis rien de Calderon, dont aussi bien M. Rigal eût pu se passer de parler. Né vers 1600, Calderon ne commença d’écrire qu’en 1619 ou 1620, et quand ses comédies furent imprimées pour la première fois, il y avait huit ou dix ans qu’Hardy était mort. — D’autres reprochent à notre poète qu’ayant trouvé le théâtre engagé, par ses prédécesseurs, dans les voies de la tragédie classique, il l’en aurait détourné pour le rendre à l’irrégularité ou à la grossièreté du moyen âge. Et d’autres s’étonnent ou se plaignent enfin, qu’étant maître de faire ce qu’il voulait, il ait encore écrit tant de Didon, de Méléagre ou d’Ariane, au lieu de nous donner, comme le faisait alors Shakspeare en Angleterre, des Hamlet, des Macbeth et des Richard III. Tous ces reproches tombent, nous dit M. Rigal, si l’on prend la peine de le lire et surtout si l’on veut bien un peu considérer en quel temps il a vécu. Disciple de Ronsard, et, comme tel, « classique » par goût, c’est par nécessité que Hardy a été « romantique. » Tout ce que l’on pouvait faire alors pour préparer la tragédie de Corneille ou de Racine même, il l’aurait fait. Et son seul crime, si c’en est un, est d’avoir manqué de génie.

Je le crois volontiers ainsi, quoique d’ailleurs ce que je ne saurais