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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/778

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de ses remarquables aptitudes aux sciences positives. L’anecdote prudemment omise par Mme Périer dans son récit de la vie de son frère, mais racontée par sa fille Marguerite, où l’on voit Etienne Pascal accepter comme redoutable un sort jeté par une sorcière sur le jeune Blaise et le conjurer par des pratiques absurdes et odieuses, cette anecdote atteste en lui la foi ou du moins une vague croyance au merveilleux. Nous ne savons malheureusement rien des penchans de la mère de Pascal en ce qui touche la religion, mais le document précédent suffit à nous édifier sur l’origine du sentiment religieux en lui. On ne saurait nier qu’il ne tînt de son père le principe de son génie scientifique, et dès lors on serait mal venu à contester qu’il ait hérité de son père aussi le principe de ce sentiment. Quoi qu’il en soit, examinons maintenant ce que la religion spontanée est devenue chez lui. Comme chez tous les hommes, depuis la formation des sociétés, le germe de l’inquiétude et de l’aspiration religieuses a reçu tout de suite d’une éducation traditionnelle le sens de son développement; ce germe n’a même pas eu le temps de prendre conscience de soi : «... Mon père, dit Mme Périer, ayant lui-même un très grand respect pour la religion, le lui avait inspiré dès l’enfance, lui donnant pour maxime que tout ce qui est l’objet de la foi ne le saurait être de la raison, et beaucoup moins y être soumis. » — Elle ajoute : « Il était comme un enfant ; et cette simplicité a régné en lui toute sa vie... »

Il n’est pas aisé, dans ces conditions, de découvrir à l’état pur, dans Pascal, les traces de la religion spontanée. Pendant toute son enfance et son adolescence, elles ne se décèlent que par son extrême docilité à accueillir et observer ce précepte paternel. Même en faisant la part très large au respect que lui inspirait la supériorité intellectuelle de son père, à l’ascendant de celui-ci sur son esprit, on est frappé de la prompte et complète satisfaction donnée à sa plus essentielle curiosité par le dogme chrétien sans l’aveu mûri de sa raison. Comme, d’ailleurs, l’indifférence n’est pour rien dans cette docilité, on est en droit de l’attribuer à une pente naturelle de son âme vers la religion. Si sa raison ne sent aucun sacrifice à faire, si elle n’a point à se résigner, c’est qu’elle s’en remet librement à la foi sur le principe transcendant de l’univers ; et si sa foi n’eût point rencontré chez autrui l’hérésie ou l’incrédulité, il est probable qu’elle fût demeurée inconsciente en lui comme tout autre penchant inné que rien ne contrarie. Mais nous devons à la contradiction des impies et des hérétiques, à sa lutte avec eux, les quelques témoignages qu’il nous a expressément donnés de son pur sentiment religieux. « On a beau dire, il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d’étonnant. C’est parce que