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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/790

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de ses découvertes et, quoi qu’en dise sa sœur, de l’admiration qu’elles lui conquièrent. Il n’en est pas de même de l’éthique. A ses yeux les fondemens rationnels de la morale et de la politique peuvent être ébranlés et ruinés sans le moindre inconvénient et même avec avantage. La religion catholique est là pour en recueillir les débris, pour les restaurer en leur communiquant la solidité qu’elle emprunte à ses propres fondemens tout divins. Le pyrrhonisme n’est qu’un bienfaisant démolisseur, car l’édifice est rebât désormais inébranlable par le Christ et les apôtres, le mortier païen ne vaut pas le sang des martyrs pour en cimenter les pierres. Le temple de Pallas Athéné ne s’est effondré que pour se relever éternel et plus haut dans les cathédrales de l’Église apostolique et romaine où la charité achève la justice en l’attendrissant. Singulier scepticisme, assurément bien inconnu des anciens, que ce sacrifice partiel des titres de la pensée humaine en retour d’une révélation divine, livrant au cœur les plus importantes vérités! Ce qu’il y a d’héroïquement désespéré dans le doute absolu de Pyrrhon fait place dans Pascal à une réserve intéressée sur un point, et à un échange léonin quant au reste. Il se sert du pyrrhonisme uniquement pour le besoin de la cause chrétienne, comme d’une arme dont le tranchant, inoffensif pour lui-même, ne menace que ses adversaires. En réalité, il ne met en suspicion ni la raison déductive, car il est géomètre ; ni la raison inductive, car il est physicien ; ni la raison intuitive en tant qu’elle fournit leurs principes à ces sciences organisées dont le progrès est assuré. Il ne s’en prend qu’aux disciplines encore chaotiques, non encore dignes du nom de sciences, dont la matière est la plus complexe et la méthode indéterminée, c’est-à-dire à celles qui composent l’éthique. Il abuse de ce qu’elles sont en formation pour y relever des jugemens contradictoires ou flottans et pour contester à la raison humaine sa compétence et son aptitude parce que, avant de saisir son objet, elle le retourne et le tâte ; comme si, même dans les sciences positives, le siège méthodique de la vérité n’avait pas été précédé de mille assauts désordonnés. Son scepticisme réel se réduit donc, en fin de compte, à une querelle d’Allemand faite par la foi à la raison, et se borne à constater que dans les sciences morales, lesquelles par leur nature même ne peuvent être systématisées que les dernières, la raison se contredit, s’embarrasse et se fourvoie encore. Pour ce motif à peine spécieux il suspecte, en tant seulement qu’elle s’applique à ces sciences, la légitimité de ses titres.

Hâtons-nous d’ajouter que la bonne foi de Pascal n’est point ici en cause. Il est également sincère, soit qu’il épouse le scepticisme entier de Montaigne pour rabattre l’orgueil de la raison qui prétend