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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/792

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ses aspirations vers l’idéal inaccessible de son cœur et de son intelligence. Or l’idéal de son intelligence, ce qui explique à la fois l’origine, le développement et la fin de l’univers, il le reconnaît tout d’abord inaccessible. « s’il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible... Nous sommes incapables de connaître ni ce qu’il est ni s’il est. « Il faut admirer la franchise de cette déclaration ou plutôt la profondeur de pensée qui la lui impose. Ainsi, pour lui, la preuve de l’existence même de Dieu n’est pas confiée à la faculté de comprendre, mais à celle de sentir, à l’intuition du cœur, en un mot à un acte de foi. C’est dans cette conviction de Pascal qu’il faut chercher l’explication de son fameux pari proposé aux incrédules pour les amener à la pratique de la religion catholique. Nous n’examinerons point ce pari dans la présente étude, parce que nous en avons fait l’objet d’une analyse spéciale. L’Évangile n’exige pas du croyant autre chose qu’un acte de foi, et il répond parfaitement à l’idée que Pascal se faisait des limites de l’intelligence humaine. Quant à l’idéal de son cœur, c’est encore l’Evangile, le dogme chrétien qui le lui fournit en lui offrant une solution du problème moral le plus rebelle à la raison en même temps que le plus intolérable au cœur, à savoir l’existence du mal en dépit de la toute-puissance de Dieu qui est le Bien même. Il est remarquable que la question du libre arbitre et de la nécessité, qui est le fond de ce problème, regardée en face et tranchée avec tant d’audace par son contemporain Spinoza, semble avoir été par lui peu approfondie, presque éludée. On ne trouve dans ses Pensées, dépositaires des plus secrètes angoisses de sa conscience, rien qui trahisse un trouble sérieux à ce sujet, une gêne anxieuse dans la conciliation de la grâce et de la responsabilité. Il raille les jésuites avec une assurance qui étonne, car, s’il est facile de réduire leur doctrine à l’absurde, il ne le serait pas moins de relever les inconséquences de celle qu’il défend au nom des jansénistes. Il aime mieux adopter celle-ci que la discuter. Ce n’est pas sa raison qui y défère, mais elle n’y résiste pas non plus, elle ne fait que d’insuffisantes réserves. « Il n’est pas bon, dit-il dans ses Pensées, d’être trop libre. Il n’est pas bon d’avoir toutes les nécessités. » Ce juste milieu convient à la prudence plus qu’à la rigueur de son esprit, et n’est, au fond, pas plus rationnel que la doctrine des jésuites ni que celle des jansénistes, tout en s’éloignant de l’une et de l’autre également. C’est qu’il ne saurait y avoir de compromis entre le libre arbitre et la nécessité. Pascal ne veut pas en convenir avec lui-même; le dogme du péché originel, celui de la chute, celui de la rédemption, et tous ceux qui en découlent lui sont trop chers; ils s’accordent trop bien avec la conscience invincible que l’homme