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localités par nos troupes, nous fîmes avec le bey, à la date du 12 mai 1881, le traité dit de Kasr-Saïd. Nous garantissions au souverain, avec l’intégrité de son territoire, l’ordre dans l’intérieur du pays. À cette garantie d’une munificence superflue, nous ajoutions au traité un article 4, qui, tout en liant nos mains pendant de longues années, devenait une source d’embarras continuels. Voilà cet article 4 dans toute sa candide simplicité :

« Le gouvernement de la république française se porte garant de l’exécution des traités actuellement existant entre le gouvernement de la régence et les diverses puissances européennes. »

Ainsi, la nation protectrice de la Tunisie, la nation qui avait dépensé quelques millions pour atteindre ce résultat, n’allait pas avoir dans le pays protégé par elle plus de faveurs que l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre. C’est ainsi que, grâce à d’anciens traités qui, pour les deux premières de ces puissances, ne finiront qu’en 1896, et pour la dernière auraient pu se prolonger indéfiniment, Marseille avait plus d’avantages à acheter en Espagne ses vins et ses huiles qu’en Tunisie. Pour les premiers, elle ne payait que 3 francs ou 2 à leur entrée au port de La Joliette, pour les autres 4 fr. 50 par hectolitre ou par 100 kilogrammes. Un colon français établi en Tunisie vendait plus avantageusement ses récoltes à Malte, à Tripoli, en Italie, qu’en France, où l’on constatait cet étrange résultat : sur une somme de 5 millions de francs en céréales et bestiaux sortis de la régence, il n’en venait que pour une valeur de 10,000 francs à la métropole. Pour le blé et le bétail, voici ce qui se passait : s’ils étaient vendus à Palerme, Gênes ou Livourne, ils ne payaient à l’entrée dans ces villes que 1 fr. 40 ; à Marseille, 5 francs. Les bœufs payaient en Italie 18 francs; à Marseille, 25. Les moutons, 0 fr. 25; à Marseille, 3 francs. Pour les chevaux, 20 francs contre 30. On l’a dit avec beaucoup d’à-propos, si c’était pour de telles anomalies que l’on s’était mis en froid avec l’Italie, cela n’en valait pas assurément la peine. Afin que les transactions soient faciles entre la France et le pays que nous disons protéger, nous subventionnons notre Compagnie transatlantique pour que ses bateaux fassent, trois fois par semaine, le trajet entre La Joliette et La Goulette. La subvention, que je suis bien loin de blâmer, n’eût-elle pas été mieux justifiée si elle eût aidé à ce que les bateaux, au lieu de revenir sur lest de Tunis à Marseille, eussent été chargés d’huiles et devins tunisiens? N’est-ce pas étrange d’acheter nos vins à l’Espagne et à l’Italie, nos grains à l’Asie et à la Russie, quand des cultivateurs français nous en offrent des pays où nous les avons conviés à s’établir? N’est-ce pas là un bel exemple de l’inconséquence française, et une façon d’agir qui fait dire à tant de personnes incompétentes que nous ne savons pas coloniser? Les colons ont bon dos, mais il doit en être ainsi de nos