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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/851

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grand’mère lui faisait épeler ses lettres, revoyait simplement « les images des saints, protecteurs des hameaux; » en 1824, il corrige cette réminiscence sincère, mais plate, et la complique de détails de fantaisie destinés à la rehausser : « Le ciel d’or, les saints bleus, les saintes à genoux,.. » ce qui tendrait à faire croire qu’il avait appris à lire dans un précieux missel du moyen âge.

Il serait pourtant injuste de méconnaître que le procédé pittoresque « prépare le procédé naturaliste. » Aux couleurs de convention se substitueront peu à peu les sensations directes dont elles tiennent la place. Chaque mot de cette langue étincelante contient déjà comme une vibration de lumière qu’il reste à rectifier et à mettre au point. Ce sera l’œuvre de l’observation dont le souci ne va pas tarder à apparaître dans le cerveau surchauffé où tant de rêves bourdonnent.

L’examen des œuvres de cette première période n’aura pas été inutile à notre investigation : il permet d’entrevoir, à travers les images verbales ou factices, les tendances natives de la sensibilité du poète. La façon dont jaillit et se dispose chez lui la représentation pittoresque révèle l’aspect sous lequel les phénomènes extérieurs s’imposent le plus fortement à ses yeux, et les souvenirs d’enfance viennent corroborer ce témoignage direct. Partout la vision offre le même caractère : elle est vive, intense, ardente. Et cette vivacité, cette intensité, cette ardeur ne dépendent pas de la coloration propre des objets perçus, mais d’une espèce de vibration lumineuse qui les enveloppe indistinctement. Victor Hugo n’est jamais frappé de la couleur des choses, mais de l’éclat des choses colorées. Ce qu’il y a d’original, de purement sensoriel dans sa perception, c’est une faculté exceptionnelle de s’éblouir aux jeux de la clarté rayonnante. Les notations chromatiques qu’il met en œuvre dans ses descriptions n’ont pas d’autre utilité que de produire, par leur contraste, un effet de ce genre dans l’ordre imaginaire. Ainsi ne cherchez pas pourquoi, dans le Feu du ciel, la tunique du roi de Sodome est « blanche; « c’est pour mieux trancher sur la flamme « bleue » du soufre. Qui trairait les chamelles, sinon les négresses dont les u doigts noirs » font si bien ressortir la pâleur du lait!

Là doit se borner cette première analyse, qui, poussée plus loin, ressortirait plutôt à la critique de l’imagination qu’à l’étude des sens.


IV.

L’année 1825 offre un intérêt tout particulier dans l’histoire de Victor Hugo. Peu fortuné jusque-là, il commence à voir la vie lui sourire : pensionné, décoré, acclamé pour les deux volumes qu’il