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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/872

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de fromage par la cheminée. Dans telle fruitière, Pierre, ennemi de Paul, s’arrange, toutes les fois que celui-ci a le fromage, de manière à faire manquer l’opération : pas vu, pas pris. Avec le système de la vente en bloc, tout est à tous et aucun produit n’est à personne individuellement ; l’intérêt, ce tout-puissant monarque, enchaîne Pierre, devient son gendarme, son code pénal et sa conscience, car il sait qu’il ne faut conserver que les rancunes utiles. L’associé n’a plus le fromage, il touche sa part de la vente, mais lorsque revient son tour, il dispose du petit-lait, qui constitue une nourriture excellente pour les porcs, de la crème, et du beurre, à moins que celui-ci ne soit vendu pour le compte de la société.

Fabrication sans méthode et vente sans garantie positive, ces deux écueils de la fruitière vont habituellement de conserve. La vente au confront, qui réalisait un progrès sur les anciens usages, est un véritable nid à procès. Vendre au confront, c’est traiter au prix, encore indéterminé, d’une autre fromagerie renommée du voisinage. Naturellement la fromagerie-type est prise d’assaut par le marchand qui, pour obtenir un chiffre favorable, concède des avantages indirects : étrennes au fromager, épingles, bonifications déguisées sous le nom de bon poids, liberté de l’écrémage, achat en bloc et à l’avance, sans réserve de rebut, de tous les fromages de la campagne annuelle.

La vente au confront n’a plus que de rares adeptes : la vente aujourd’hui s’effectue deux, trois, quatre fois par an, sur des produits qui n’existent pas encore, dont le marchand ne peut apprécier avec certitude la qualité, avec des cours bien mieux connus du négociant que des administrateurs. Les marchés se concluent verbalement, on ne stipule aucune indemnité de retard pour l’enlèvement. Au moment de la livraison, si les cours sont en hausse, l’acheteur élève peu de difficultés, fait peu de rebuts ; sont-ils en baisse, tout lui sert de prétexte à des réclamations ; or les syndics ou gérans subissent toujours ces exigences, parce qu’un mauvais accommodement vaut mieux qu’un bon procès, parce que le résultat le plus clair d’une querelle en justice, c’est de gagner un chat et de perdre une vache. Sur les 542 fruitières du Jura, 98 ont en 1888 supporté des rabais plus ou moins considérables. « Je serais bien curieux de savoir, demande M. Gobin, directeur de la fromagerie-école de Poligny[1], si jamais, la hausse étant survenue depuis son achat à terme, un négociant a offert à une société frui-

  1. La Fruitière jurassienne ; cette feuille mensuelle, publiée à Poligny, envoyée gratuitement à toutes les fruitières du Jura, leur rendra de précieux services. — Signalons aussi le Journal du syndicat des fruitières du Doubs, imprimé à Saint-Vit (Doubs) qui publie d’utiles articles sur toutes les questions fromagères et agricoles.