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UNE INDUSTRIE PASTORALE.

sous la dent, alors le fruitier cesse de débattre, mais il imprime à la masse un mouvement giratoire destiné à permettre au grain de se réunir au centre et au fond de la chaudière, et il procède à la mise en moule. À cet effet, il prend une toile d’environ 2 mètres de longueur sur 1m, 50 de largeur, noue l’une des extrémités autour de son cou, et fait passer l’autre sous le pain de caillé réuni au centre de la chaudière. La pâte ainsi placée comme dans un sac est remontée, transportée par l’ouvrier dans un moule cylindrique, soumise pendant quarante-huit heures à une pression énergique qui amène l’égouttement du petit-lait, le tassement, la formation définitive de la meule ; on la porte alors à la cave, on la place sur des tablettes superposées, elle est soumise à la salaison et subit une fermentation qui imprime à la pâte une saveur et une odeur caractéristiques. Au bout de quatre, cinq ou six mois, un bon fromage doit présenter une pâte unie, sans crevasses, de couleur jaune clair, avec des yeux brillans, légèrement humides ; la pâte doit s’écraser facilement entre le pouce et l’index, fondre dans la bouche après quelques instans, en laissant une saveur légèrement salée. Les fromages bréchés (sans yeux), écaillés (à trous irréguliers, nombreux et semblables à ceux d’une éponge), gercés (fendillés extérieurement), montés (boursouflés), lainés (présentant des fentes horizontales à l’intérieur), proviennent d’une fabrication défectueuse et surtout d’une fermentation insuffisante, qui les exposent à une grande dépréciation, souvent même à un refus complet du négociant.

Avec le petit-lait resté dans la chaudière après la sortie du fromage, on obtient encore deux produits : le beurre de petit-lait, beurre de brèches ou grasseion, et le serai. La meilleure manière de fabriquer le beurre de brèches consiste à laisser refroidir pendant trois jours dans un endroit frais le petit-lait, avant de l’écrémer : à la Station laitière de Trente (Italie), en le maintenant à une température de 10 à 12 degrés, on a pu retirer de 1 000 litres de lait ayant servi à façonner du fromage gras de Gruyère, 12 kilogrammes de second beurre très recherché par les pâtissiers. En Suisse, le directeur de la laiterie de la Roche (canton de Fribourg) traite son petit-lait chaud par l’écrémeuse centrifuge qui lui fournit d’excellent beurre vendu à Genève 3 francs le kilogramme. Ou bien encore, portez tout simplement la température du petit-lait jusqu’à 80 ou 90 degrés, ajoutez 2 pour 100 d’aisy ou petit-lait aigri : la crème non entraînée dans le fromage remonte à la surface ; mais le beurre qu’on en tire demeure bien inférieur au beurre obtenu par le refroidissement du petit-lait. En général, 100 litres de lait ayant servi à la fabrication du fromage laissent 80 à 85 litres