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La Barque du Pêcheur, sous le fouet des tempêtes,
Et, près de s’engloutir, n’espérant plus en Toi ;
Et l’aveugle hérésie, hydre au millier de têtes.
Déchirant l’unité naissante de la foi ;

Et, sans cesse, pendant plus de trois cents années,
Le torrent débordé des peuples furieux
Se ruant, s’écroulant par masses forcenées
Du noir septentrion d’où les chassaient leurs dieux.

Fallait-il donc, soumis aux promesses dernières
D’un retour triomphal toujours inaccompli.
Tendre le col au joug et le dos aux lanières,
Ramper dans notre fange et finir dans l’oubli ?

Souviens-toi de Celui qui, de son aile sombre,
T’emporta sur le mont de l’Épreuve, et parla.
Disant : — Nazaréen ! vois ces races sans nombre !
Si tu veux m’adorer, je te donne cela.

Je suis l’Esprit vengeur qui rompt les vieilles chaînes,
Le Lutteur immortel, vainement foudroyé,
Qui, sous le lourd fardeau des douleurs et des haines.
Ne s’arrête jamais et n’a jamais ployé.

Fils de l’homme ! Je fais libre et puissant qui m’aime.
Réponds. Veux-tu l’Empire et régner en mon nom.
Sachant tout, invincible et grand comme moi-même ?
O Rédempteur, et Toi, tu lui répondis : Non !

Pourquoi refusais-tu, dans ton orgueil austère.
De soustraire le monde aux sinistres hasards ?
Pour fonder la Justice éternelle sur terre
Que ne revêtais-tu la pourpre des Césars ?

Non ! Tu voulus tarir le fiel de ton calice ;
Et voici que, cloué sous le ciel vide et noir.
Trahi, sanglant, du haut de l’infâme supplice,
Ton dernier soupir fut un cri de désespoir !