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de Heidelberg, commandées par le prince lui-même, absorbèrent les revenus d’une année. Plus de cinq mille personnes, pendant la durée des fêtes, furent nourries splendidement par les cuisines du château.

Pendant cinq ans, on ne songea qu’au plaisir. La jeune princesse, mettant sa joie à relever par le faste l’éclat d’un rang trop humble à son gré, s’habituait, sans en souffrir encore, aux dettes dont le poids a torturé sa vie. Frédéric ne reculait devant aucune dépense. Il avait résolu d’embellir par un parc le magnifique château d’Heidelberg, situé sur la pente d’une montagne. L’ingénieur Salomon de Caus fut chargé des travaux.

Le château, dit-il dans le compte-rendu qu’il a publié de ses projets, est assis plus haut que la ville, d’environ trois cents pieds perpendiculairement, et, à cause des montagnes qui montent encore beaucoup plus haut, on ne pouvait trouver de plateau qu’environ deux cents pieds en carré, proche dudit château ; c’est la raison pour quoi les électeurs précédens avaient fait leur jardin au faubourg de la ville, il a fallu faire ledit jardin en divers étages, suivant la pente de la montagne ; mais ce qui est fort à noter, c’est la difficulté d’ôter les roches.

« Il a plu à Dieu, ajoute Salomon de Caus, d’élever le prince à la dignité royale de Bohême, ce qui a été la cause des retardemens des ouvrages du dit jardin. »

Les états de Bohême, usurpant sur les droits de la maison d’Autriche pour offrir la couronne à Frédéric, produisirent l’étincelle qui devait mettre l’Europe en feu.

Frédéric n’avait ni les vertus d’un roi, ni les talens d’un conquérant, ni la ténacité qui prolonge les luttes. Il hésita sérieusement ; son beau-père, Jacques Ier, qui répétait souvent: beati pacifici, et faisait de cette pieuse maxime la règle de sa politique, et sa mère, la sage et vertueuse Juliane, qui sans doute savait juger son fils, le dissuadaient de cette redoutable aventure. La fille des Stuarts, éblouie par l’espoir d’une couronne, voulait tout braver, même la crainte d’avoir à fuir honteusement un trône occupé sans gloire. Les astrologues lui prédisaient de hautes destinées. Maurice de Nassau, frère de Juliane, approuvait les résolutions héroïques. Le père de l’illustre Turenne, beau-frère de Frédéric, le pressait également d’accepter. Frédéric, entraîné aux conseils les moins sages, se rendit à Prague pour assister à une guerre sans espoir. Il vit la Bohême divisée en catholiques d’une part, en hussites et en protestans d’autre part, lutter contre elle-même, et succomber dans un dernier combat. Il fallut fuir, et dans l’exil, cette mort des vrais rois, son ambitieuse épouse, sans avoir jamais régné, emporta