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accès chez la reine de Bohême ; comme il y entra avec la réputation d’un homme à bonnes fortunes, il y fut tout autrement regardé qu’un autre, et dans l’ambition de n’en vouloir qu’à des princesses ou à des maîtresses de princes ; on dit qu’il cajola d’abord la mère, et après, la princesse Louise, car les Louises étalent fatales à ce garçon. On dit que cette fille devint grosse, et qu’elle alla pour accoucher à Leyde, où on ne faisait pas autrement la petite bouche. La princesse Élisabeth, son aînée, qui est une vertueuse fille, une fille qui a mille belles connaissances, et qui est bien mieux faite qu’elle, ne pouvait souffrir que la reine, sa mère, vît de bon œil un homme qui avait fait un si grand affront à leur maison. Elle excita ses frères contre lui. »

Ces historiettes sont douteuses. Mais le frère d’Élisabeth, certainement, a poignardé L’Espinay en plein jour, sur la place du marché, à La Haye. L’opinion publique faisait du brillant gentilhomme l’amant de la jeune sœur d’Élisabeth. On en peut tirer une preuve de la correspondance de Mme de Longueville ; passant à La Haye, pour se rendre à Munster, elle écrivait ces paroles, qui s’accordent mal avec les portraits connus de Louise Hollandine : « j’ai vu la princesse Louise, et je ne crois pas que personne envie à L’Espinay la couronne de son martyre. » Pour la reine de Bohême, ajoute Tallemant des Réaux, on croit seulement qu’elle était bien aise que sa fille se divertît.

Tous les récits laissent supposer que, dans le drame auquel sa mère a pris tant d’intérêt, Élisabeth indignée a approuvé l’homicide, et poussé le bras de son frère. Elle-même, dans une lettre à Descartes, fait à cette accusation une allusion évidente : « La personne dont je parle, dit-elle (c’est elle-même), est bien accoutumée de souffrir le blâme des fautes d’autruy (même en des occasions où elle ne s’en voulait purger), et de chercher sa satisfaction au témoignage que sa conscience luy donne, d’avoir fait son devoir. » Philippe avait pour sa sœur beaucoup d’affection et de confiance ; elle seule, quand il était malade, pouvait obtenir de lui l’obéissance aux ordres des médecins.

Élisabeth, peu de temps après la mort de L’Espinay, quitta la maison de sa mère pour n’y plus rentrer.

Les lettres écrites de Berlin à Descartes, sans éclaircir les causes de cette étrange séparation, ne laissent pas supposer une rupture de la princesse avec sa famille. Son retour y est présenté comme incertain, mais possible. « Encore, dit-elle, que le repos que je trouve ici, parmy des personnes qui m’affectionnent et m’estiment plus que je ne mérite, surpasse tous les biens que je puis avoir ailleurs, il n’approche pas du plaisir que je soûlais avoir dans votre conversation.