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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/118

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elle voudrait encore abandonner la vie, s’il était requis. Cela la fâche un peu, mais ne la saurait surprendre, puisqu’elle est bien accoutumée de souffrir le blâme des fautes d’autruy (même en des occasions où elle ne s’en voulait purger) et de chercher sa satisfaction au témoignage que la conscience luy donne d’avoir fait son devoir. »

La personne en question, si nous l’entendons, c’est Élisabeth, qui fait allusion aux bruits qui ont suivi le meurtre du chevalier L’Espinay, sans vouloir rien alléguer pour sa justification.

Dans une autre lettre, Élisabeth écrit à Descartes :

« Je vous parlais, dans ma dernière lettre, d’une personne qui, sans avoir failly, estoit en danger de perdre la bonne opinion et peut-estre la bienveillance de la pluspart de ses amis. Maintenant elle s’en trouve délivrée d’une fasson assez extraordinaire, puisque cett’autre, à qui elle avait mandé le temps qu’il luy fallait pour se rendre auprès d’elle, luy répond qu’elle l’aurait bien attendu si sa fille n’eût changé de résolution, jugeant qu’on trouverait mauvais qu’elle serait approchée de si près par des gens de différentes religions. C’est un procédé qui, à mon avis, ne répond pas aux louanges que nostre ami donne à celle qui s’en sert. »

Quelle est cette mère et cette fille si craintives de se compromettre avec des protestans ? Il me paraît difficile de le deviner, en y joignant même les lignes suivantes :

« Au moins, si le procédé est entièrement sien et ne vient pas, comme je le soupçonne, de l’esprit faible de la mère, qui a été accompagnée, depuis que cette affaire est sur le tapis, d’une sœur qui tient la subsistance du parti contraire à la maison de la personne susmentionnée.

« Je ne saurais rien ajouter à cecy, dit encore Élisabeth, si ce n’est que je n’estime pas cet accident susdit au nombre des malheurs de la personne à qui il arrive, puisqu’il la retire d’un voyage où le mal qui lui en reviendrait (comme la perte de la santé et du repos, jointes aux choses fâcheuses qu’il lui eust fallu souffrir d’une nature brutale) estoit très asseuré, et le bien que d’autres en pourraient espérer fort incertain.

« Quant à moi, je prétends demeurer ici (à Crossen) jusqu’à ce que j’apprenne l’issue des affaires d’Allemagne et d’Angleterre, qui semblent estre maintenant en une crise. »

La lettre est du 13 août 1648. Les affaires d’Angleterre, c’était le procès de son oncle, Charles Ier ; et celles d’Allemagne, le traité de Westphalie, qui devait rendre à son frère Charles-Louis une partie au moins du Palatinat, dont la mort de son père l’avait fait, depuis quinze ans déjà, souverain légitime.