Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous contemplons l’obscur, l’inconnu, l’invisible ;
Nous sondons le réel, l’idéal, le possible ;
....................
Nous regardons trembler l’ombre indéterminée.

Si donc l’esprit humain est nécessairement dans le domaine du relatif, l’absolutisme est un abus plus intolérable et plus illogique encore chez le philosophe, qui, tout en se croyant plus voisin de la vérité, doit pourtant savoir qu’il la traduit toujours en langage humain et, à vrai dire, en images. Substance, cause, force, fin, être, essence, âme. Dieu, matière même, — autant d’images, autant de métaphores, autant de traductions symboliques d’un texte impénétrable. Soyons donc tolérans et ne nous voilons pas la face si, en dehors de toute confession religieuse, on parle vaguement aux enfans de France du Dieu en qui espère le genre humain, au lieu de leur parler de la matière première, qui n’est guère plus intelligible, ou de la substance, ou de la force. Pour l’athée même, l’idée de Dieu demeure encore le plus haut symbole de l’idéal moral en voie de réalisation dans le monde et dans l’humanité. De plus, la négation absolue de toute puissance morale immanente au monde et lui imprimant une direction est un dogmatisme retourné, aussi indémontrable au fond que le théisme. Qui peut affirmer qu’il n’y a dans l’univers aucun ressort moral, que le monde, bien qu’il soit arrivé à produire des êtres moraux, est en son principe absolument amoral et même immoral ? À défaut d’une vérité et d’une certitude démontrables, cette doctrine offre-t-elle tant d’avantages, privés ou publics, qu’on doive l’inculquer dès l’enfance ? Belle découverte pour des enfans, bel encouragement pour des maîtres que de leur dire tout d’abord : — L’univers est livré à un conflit de forces brutales, que ne domine et ne règle aucun ressort moral ; notre idéal d’un bien infini est une chimère que la nature ne connaît pas et ne réalisera jamais ; l’absence de moralité est au fond même de la nature, et notre prétendue moralité n’est qu’une utilité sociale, toute relative aux idées de l’homme ! — Il est clair que l’éducateur ne peut, au nom de l’état, enseigner une telle doctrine. La croyance contraire, idéaliste et théiste, est celle de la presque totalité des Français, à l’exception de quelques philosophes ou de quelques esprits imbus d’idées philosophiques. Ces derniers ne sont pas obligés d’envoyer leurs enfans dans les collèges de l’état. Pourquoi d’ailleurs, dans ces écoles ou collèges, les idées personnelles du père devraient-elles être exclusivement respectées, tandis que les idées et sentimens généraux de la nation n’auraient droit à aucun respect ? De deux choses l’une, ou l’enfant s’élèvera tout seul, et alors sa « liberté de conscience » ne subira pas la moindre « atteinte ; » ou l’enfant ne peut s’élever