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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/164

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loi dont leur raison reconnaît la nécessité. Pour nous, nous pensons qu’en parlant aux élèves de ce qu’ils doivent à leur pays, on y pourrait tout faire rentrer. Il faudrait que le côté national de leurs études fut mis en lumière et que la paresse leur apparût ce qu’elle est réellement, une ingratitude envers la patrie. Si vous leur enseignez la grammaire française, parlez-leur de la France, de sa langue, de son influence, du devoir qu’a chacun de nous de continuer une tradition glorieuse. Si vous leur enseignez les lettres latines, parlez encore de la France, de ses rapports avec le monde romain et avec la littérature romaine. Si vous leur enseignez les sciences, parlez encore une fois de la France, de sa réputation scientifique à maintenir, de son industrie et de ses arts à défendre contre la concurrence étrangère. Donnez de même une couleur civique aux idées morales : ce sera le meilleur moyen de faire la part de l’enseignement religieux et de l’enseignement laïque. Quel ministre d’une religion positive trouverait mauvais que les représentans de l’État parlent, au nom de la patrie, des devoirs envers la patrie ? De même que, pour le croyant, tout devoir est un devoir envers Dieu, de même, pour celui qui aime la France, tout devoir devient un devoir envers la France[1].

  1. Je prends les programmes officiels de morale ; j’y ajoute au courant de la plume quelques mots, et les voici changés en programmes de morale civique :
    I. La patrie, la nation. — Qu’est-ce qu’une nation ? N’est-ce qu’un ensemble d’individus ? Ce qu’il y a de vrai et de faux dans la théorie du contrat social et dan ? La théorie de l’organisme social. Solidarité des générations. L’esprit national ; ce qui le constitue. La France.
    II. L’homme privé. — Ce qu’il doit être dans l’intérêt même de la patrie. Qualités et défauts des Français en général, et en particulier des enfans français. Les vertus privées, nécessaires au citoyen ; véracité, courage, travail, tempérance, etc. effets sociaux des vices privés ; leurs conséquences pour la nation entière.
    III. La famille. — Sa nécessité pour la patrie ; sa fonction essentielle dans l’organisme national. Sa constitution morale et civique. L’esprit de famille ; ses qualités et ses défauts en France. L’autorité dans la famille. Les devoirs de famille : parens et enfans, frères et sœurs ; serviteurs.
    IV. L’école et le collège. — Leur place dans la patrie. Devoirs de l’écolier envers ses maîtres et ses camarades. Apprentissage des vertus civiques et militaires. — La paresse, ingratitude envers la patrie, est un déshonneur. — Les études classiques : leur caractère national et patriotique. Pourquoi on apprend les lettres françaises, les lettres grecques et latines, les sciences, l’histoire, la philosophie. Grandeur littéraire et scientifique de la France ; son ascendant intellectuel.
    V. Rapports des citoyens entre eux. — Devoirs et droits mutuels. Respect de la personne humaine et de la patrie commune dans les autres hommes. L’esclavage ; le servage. Rôle de la France dans leur abolition.
    Respect de nos concitoyens dans leur honneur. La diffamation et la calomnie. Les excès de la presse.
    Respect de nos concitoyens dans leurs croyances et leurs opinions. Liberté religieuse et philosophique ; tolérance religieuse, philosophique, politique. Fanatisme religieux et antireligieux ; fanatisme politique et haine mutuelle des partis ; leur danger au point de vue patriotique. La France doit être unie.
    Respect de la personne humaine dans ses biens. Principe de la propriété. Sa nécessité au point de vue social, national et international. La propriété en France.
    La justice et la fraternité. Formes diverses de la charité. Le dévoûment.
    VI. L’état et les lois. — Fondemens de l’autorité publique. L’état français. Sens vrai et sens faux de la souveraineté nationale.
    / Le gouvernement. Ses diverses formes ; leurs avantages et leurs dangers. Qualités et défauts des Français au point de vue politique. L’instabilité politique et ses périls. L’esprit révolutionnaire.
    L’armée, le soldat. Le service obligatoire ; la discipline militaire. Le courage militaire en France. Nos qualités et nos défauts dans la victoire et dans la défaite.
    Devoirs du citoyen envers l’état. Obéissance aux lois, impôt, vote, etc.
    Droits du citoyen. Liberté individuelle, liberté de conscience, liberté du travail, liberté d’association.
    Devoirs et droits des gouvernemens. Dangers de l’autoritarisme et dangers de l’anarchie. La vraie et la fausse liberté.
    La vraie et la fausse égalité. Avantages et abus de l’esprit égalitaire en France.
    Gravité et difficulté croissante des questions sociales à notre époque.
    VII. Les rapports des nations entre elles. — Devoirs et droits internationaux. Solidarité internationale. Nécessité de toujours considérer toute question à un point de vue international.
    L’humanité. L’amour de l’humanité et sa conciliation avec l’amour de la patrie. Le vrai et le faux patriotisme ; le vrai et le faux humanitarisme.
    VIII. L’univers. — La patrie universelle. La sympathie universelle. L’amour de la nature. Les devoirs envers les êtres inférieurs. L’homme, citoyen du monde.
    IX. La société idéale des esprits. — Les croyances relatives à une patrie spirituelle et à une cité divine. Le « règne des fins » de Kant. Importance de ces croyances au point de vue de la moralité privée et publique.
    Respect dû par l’état et par les individus à ces croyances, sous leurs diverses formes : religion naturelle ou morale (Kant), religions positives.
    Les sanctions de la morale. Sanctions de la conscience. Sanctions sociales ; fondement de la pénalité. Croyances relatives à une sanction suprême.
    Limites de la science positive : l’inconnaissable. La modestie du savant. Fondemens métaphysiques et moraux de toute croyance à un monde invisible et à un triomphe final de la moralité dans l’univers. À quelque programme de ce genre, qu’on pourrait développer dès la classe de seconde ou de troisième, ajoutez le programme « d’instruction civique, de droit usuel et d’économie politique, » déjà adopté dans l’enseignement primaire. Un cours de morale et d’instruction civique ainsi présenté, sous des formes plus ou moins élémentaires, mais à la fois scientifiques et animées, avec des exemples empruntés à l’histoire, serait-il inutile pour nos élèves de l’enseignement classique, indifférent à leur moralisation comme écoliers, comme hommes, comme citoyens ?