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ensuite. » Nous craignons que cette façon, — presque inévitable chez les purs historiens, — d’entendre la moralité de l’histoire ne sème le vent pour récolter la tempête. Ce n’est point ainsi que nous voudrions introduire dans l’histoire les idées morales, sans lesquelles elle n’est qu’un long et sanglant récit de haines et de luttes intérieures ou extérieures, le cauchemar écrit de l’humanité. L’histoire, selon nous, doit servir à établir les bases positives d’une véritable science sociale, et c’est ainsi seulement qu’elle aura sa moralité, parce qu’elle mettra en relief certaines conditions morales et politiques sans lesquelles un peuple ne peut être ni grand, ni fort. Auguste Comte avait raison de dire que les sociétés ont des lois démontrables « d’existence ou d’équilibre, » dont l’ensemble est la « statique sociale, » et des lois démontrables « de mouvement ou de développement, » dont l’ensemble est la a dynamique sociale. » Stuart Mill donne pour exemple les lois suivantes, qui expriment les conditions minima de stabilité sociale : 1o « un système d’éducation et de discipline coercitive s’opposant à la tendance naturelle de l’humanité vers l’anarchie ; » 2o l’existence d’un « sentiment de dévouement, » qui peut s’adresser « soit à un Dieu ou à des dieux communs, gardiens de l’État, » soit à « de certaines personnes représentant l’État, » soit à des lois, à des libertés, à des coutumes anciennes. Dans toutes les sociétés politiques qui ont eu une longue existence, il y a eu un « point établi, » quelque chose « que le peuple s’accordait à tenir pour sacré ; » 3o l’existence d’un « principe vivant et actif de cohésion entre les citoyens, » qui leur fasse vraiment sentir qu’ils ne forment « qu’un seul peuple. » Stuart Mill démontre qu’en dehors de ces conditions, un peuple est virtuellement à l’état de guerre civile et ne peut jamais y échapper longtemps en fait. L’histoire a donc bien sa moralité, non en ce sens que les tyrans sont punis et les bons citoyens chargés d’honneurs, mais en ce sens qu’il y a des règles sociales et politiques auxquelles un peuple ne peut impunément se soustraire.

C’est seulement dans la science sociale que l’histoire trouvera sa signification et sa valeur éducative. Si l’on objecte que la science sociale est encore embryonnaire, nous répondrons que le petit nombre de vérités déjà établies dans son domaine est bien supérieur à toutes les applications sans règle fixe dont les historiens de profession se contentent et qui changent de l’un à l’autre à propos des mêmes faits. Chaque narrateur range les événemens à sa guise, dans la perspective qui lui plaît, selon des plans différens : la même histoire conclut à l’apothéose ou à l’anathème.

Avec l’éducation morale, M. Lavisse attribue au professeur d’histoire l’enseignement civique et politique. Il demande que le professeur