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[1], mais qui, en revanche, ne lui produisent rien. — Cette comparaison a été faite et nous ne la referons pas ici.

Nous nous bornerons à demander s’il faut que ce mouvement nécessaire, fatal, de pénétration soit le monopole exclusif des voies navigables et s’il y a lieu de contester aux chemins de fer le droit d’essayer d’en prendre leur part. — Quand on voit, par exemple, pour les vins d’Espagne, qui sont l’un des lieux-communs des récriminations, la compagnie de Lyon en amener à Paris par ses rails 87,000 tonnes, dans une année, au prix total de 52 francs au départ de Tarragone, et la navigation maritime et fluviale par Gibraltar et Rouen, y déverser 250,000 tonnes au prix de 30 à 35 francs la tonne, on peut se demander si ce sont bien les chemins de fer qu’il y a lieu d’accuser de créer une situation que les circonstances imposent, et si c’est eux, ou la navigation, qu’il faut prendre pour bouc émissaire.


Cette concurrence, dont on ne saurait leur dénier le droit, comment les chemins de fer l’exercent-ils? Par quels procédés? C’est ici que nous arrivons à la discussion des principes mêmes qui président à leur tarification.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’est posée la question que nous examinons. Même alors que les idées protectionnistes s’étalaient moins ouvertement, il était de mode de s’élever contre les tarifs d’importation (le mot de pénétration n’était pas encore inventé), et l’on s’assurait un facile succès de presse ou de tribune quand on s’avisait de flétrir le patriotisme à rebours des compagnies de chemins de fer ruinant à plaisir (comme si vraiment elles y avaient intérêt) l’industrie française et l’agriculture nationale, et déjouant au profit de l’industrie ou de l’agriculture étrangères l’effet des protections douanières !

Dans la mémorable discussion des conventions de 1883 (qui occupa 14 séances de la chambre et 5 du sénat), ces idées eurent tout le loisir de se produire au grand jour. La compagnie de Lyon, la première sur la brèche à cette époque, avait (elle a encore) quelque peine à prendre au sérieux des accusations qui s’attaquaient moins encore à son prétendu manque de patriotisme, qu’à son intelligence des affaires et au souci éclairé de ses intérêts. Elle n’hésita pas un instant à donner au gouvernement les assurances qu’on lui demandait, et dans sa lettre du 26 mai 1883, que les autres compagnies ont successivement reproduite, elle prenait l’engagement « de modifier, en ce qui concerne les tarifs qui ont pour objet

  1. 1,425 millions à fin 1887.