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SACRIFIÉS.

aller les autres. Dès qu’elle pénétrait dans le saint lieu, son regard circulaire disait suffisamment aux bonnes brebis qu’elle les reconnaissait, et, l’office achevé, de discrètes remontrances apprenaient à ceux qui s’en étaient dispensés que leur absence n’avait point passé inaperçue.

Connaissant cette faiblesse de sa mère, Jean s’habilla en hâte. Que n’eût-il fait pour se la rendre favorable ! Il souhaitait l’entretenir avant d’aborder son père. D’ailleurs, un acte de piété n’a jamais compromis une journée, tant s’en faut : chrétien convaincu qu’il était, il ne pouvait lui déplaire d’inaugurer celle-ci, qui s’annonçait si décisive pour son avenir, par une fervente prière. La messe terminée, il regarda disparaître un à un les domestiques étouffant leurs pas ; Mme de Vair demeura seule en adoration d’actions de grâces, tandis qu’une demoiselle de compagnie, laide et sans âge, pliait la nappe d’autel, éteignait les cierges et rentrait les ornemens, non sans gourmander rudement et presque à haute voix le vieux chapelain, à moitié sourd, qui, de ses mains cassées et maladroites, ne se déshabillait pas assez vite. Après une courte méditation, le prêtre ne tarda pas à sortir, poursuivi par la demoiselle de compagnie, son ombre impitoyable.

Mme de Vair, toujours prosternée, resta longtemps abîmée dans sa prière. Enfin, elle se releva et sortit.

Son fils l’attendait à la porte et lui sauta au cou :

— Ma mère, dit-il, ne suis-je donc plus votre enfant que vous tardez tant à m’embrasser ? Oh ! je l’ai bien compris hier que vous me boudiez, quand je n’ai trouvé personne pour me recevoir. Et pourtant, s’il y a un malentendu entre nous, suffit-il à détruire tant d’années de tendresse profonde, et ma présence ici n’est-elle pas le meilleur témoignage de mon filial abandon ?

— Jean, répondit la comtesse, il ne m’appartient pas de vous entendre sur le sujet qui vous amène, c’est votre père que ce devoir regarde. Veuillez toutefois différer jusqu’à ce soir cet entretien. La baronne de Clausmarhoël et sa fille se sont annoncées pour déjeuner, et il est convenable que rien ne transpire de notre triste désunion…

Et comme son fils faisait mine de se récrier…

— Oui, désunion, car, lorsque les parens et l’enfant cessent de s’entendre sur une question aussi grave que celle de l’honneur du nom, l’harmonie dans la famille est atteinte, et il est pénible d’avouer cette humiliation et cette douleur devant des étrangers, quelque amis et bienveillans qu’on les connaisse…

La comtesse de Vair, imbue des vieux usages, n’avait jamais tutoyé son fils, mais elle rachetait d’habitude cette solennité d’attitude, si démodée aujourd’hui, par d’affectueux épanchemens et