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beau rêve oriental balayé à Nésib par la stratégie enfantine d’un Ibrahim.

Sans appui réel au dedans, le Sultan sera-t-il du moins soutenu par l’Europe, qu’il veut imiter ? Que ce serait mal la connaître ! L’Europe, selon les coups de vent d’une politique changeante, le retient, le pousse, l’écrase ou le défend. Il est le jouet des puissances. Quand il n’est pas le prétexte de leurs discordes, il fait les frais de leur réconciliation. Lorsqu’il n’en peut plus, on n’épargne point au lion blessé le coup de pied final, sous la forme d’un conseil intempestif : « Croyez-moi, lui dit un homme d’État célèbre, ne cherchez point à copier notre civilisation. Soyez vous-même, restez Turc. Conservez vos précieuses institutions, et, en moins de cinq ou six siècles, si vous êtes sage et si rien d’imprévu ne survient, vous verrez comme vous serez à votre aise ! »

Telles sont les circonstances au milieu desquelles Mahmoud trouva le moyen de reconstituer un gouvernement et une armée : le temps lui manqua pour faire une nation de cet amas de peuples. Après sa mort, l’Europe s’en mêla et brouilla tout.


III.

Le zèle de quelques puissances pour la conservation de l’empire ottoman n’est pas très ancien. Seule la France n’a guère varié dans sa politique à l’égard du Divan. Seule, elle a compris de bonne heure à quel point la Turquie était nécessaire à l’équilibre du monde. Ailleurs, la lumière ne s’est faite qu’après la grande crise de 1840. C’est alors qu’on vit éclater, dans l’Europe entière, ces transports d’affection violente et jalouse pour celui qu’on appelait i(l’homme malade. » Larmes peu sincères, il est vrai, affection d’héritiers présomptifs, qui craignent de voir le cher allié passer entre leurs bras sans avoir fait un bon testament en leur faveur. Les Esculapes se livrent, autour du lit de misère, à d’indécentes querelles et crient de toutes leurs forces aux oreilles du malheureux patient : « Surtout, défiez-vous de mon confrère ! » Quelle dérision que cette fameuse convention de Londres, dirigée en réalité contre nous et qui unit, dans une prétendue sollicitude pour l’empire chancelant, les auteurs mêmes de tous ses maux ! car enfin, sans Navarin et sans la campagne de 1829, l’empire n’eût pas été à deux doigts de sa perte. Les voyez-vous, ces puissances, d’abord acharnées contre le Turc, tranchant dans le vif, arrachant les provinces danubiennes, la Serbie, la Grèce, puis, tout à coup, saisies d’une tendresse subite pour ce pauvre mutilé qui gît à terre