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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/462

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les bas-fonds il fait noir. Mais quelques sommets émergent de l’ombre et brillent encore : Samson est de ceux-là.

Le théâtre qui vient de représenter un tel ouvrage mérite de vivre, et nous espérons fermement qu’il vivra.

L’interprétation de Samson a été fort satisfaisante. M. Talazac a mis une onction touchante dans l’admirable mélopée du prisonnier aveugle. La belle voix et le beau style de M. Bouhy, enfin reparu sur une scène parisienne, donnent le relief le plus vigoureux à la figure du grand-prêtre. L’orchestre est bon et bien conduit ; les chœurs surtout sont de premier ordre. Impossible de souhaiter plus de fraîcheur et de justesse, plus d’ensemble, d’entrain et de discipline, une plus fidèle observation des nuances. Tenez-vous tout cela pour dit, mesdames et messieurs de la maison voisine. quant à Mme Rosine Bloch, qui rentre au théâtre après dix ans d’absence, nous l’avons gardée pour la fin parce qu’elle s’est gardée, elle aussi, pour la fin. Ce n’est pas une résurrection ; c’est une révélation. Elle n’avait jadis ni cette intelligence, ni ce goût, ni cette diction lyrique. Mais qu’importe jadis : elle a tout cela maintenant.

Ce n’est pas l’envie qui nous manque, mais le loisir, d’insister sur la Jolie Fille de Perth, qui fait au Théâtre-Lyrique les lendemains de Samson et Dalila. Elle est loin de tenir dans l’œuvre du maître à jamais regretté la même place que l’Arlésienne et Carmen; mais elle y tient sa place pourtant. Partition fort inégale, soit, mais non pas sans mérites; fatiguée, mais non pas morte. Elle est coupée à l’ancienne mode, et je le lui pardonne volontiers ; car il y a eu des chefs-d’œuvre immortels coupés à cette mode-là, et il y en aura peut-être encore. Elle a des rides, et je les lui pardonne aussi : vingt-trois ans, c’est un grand âge en musique par le temps qui court. (Oh ! oui, il court véritablement.) On y trouve çà et là des pages banales, vulgaires, soit; il faut encore, il faut toujours lui pardonner parce qu’on y trouve aussi des pages charmantes et une page admirable, parce que cette œuvre enfin, sans être plus qu’une promesse, en était une véritable, qui fut depuis glorieusement tenue. La jolie fille de Perth trahit surtout la double influence de l’école italienne et d’Halévy, le maître de Bizet. Une phrase, fort touchante d’ailleurs, chantée au troisième acte par l’héroïne : Hélas ! au printemps de la vie, rappelle de très près une phrase célèbre de Rachel, dans la Juive. Le quatuor du premier acte : Que fait ici cette inconnue? délicieusement écrit pour les voix, le grand finale du troisième acte, sont traités selon la formule, l’un de Verdi, l’autre de Donizetti. On retrouve d’ailleurs plus d’une fois dans la partition cette note de sensibilité qui sauvera de l’oubli les belles pages de Lucie. Le Bizet de 1867 avait déjà beaucoup de talent ; il allait avoir du génie: une scène l’annonce; c’est la scène d’ivresse, à la fin du second acte. L’adorable danse bohémienne, le petit duo à la Mozart, dont