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alors les intervalles par l’abus du spectacle, ou, comme nos pères, par celui de la déclamation. Point de superstition ! En dépit de Shakspeare, qui n’a guère fait que traduire Plutarque, Cléopâtre peut bien servir de prétexte à quelque tableau historique; ou à quelque roman épique, dans le genre de Salammbô; ou à un grand opéra, si l’on veut; ce n’est pas un sujet de drame. La preuve en est que ni Corneille, ni Racine, ni Voltaire même n’ont eu garde de le traiter : ils l’ont laissé à Marmontel, et M. Sardou eût sans doute été bien inspiré de ne pas le lui disputer.

Paulo meliora canamus. La nouvelle comédie de M. Henri Meilhac, Ma Cousine, manque un peu de fond et de substance, elle aussi. L’intrigue, très habilement menée, sous son air de négligence et de laisser-aller, par des moyens qui semblent se moquer d’eux-mêmes, en est assez légère, et le point de départ assez extravagant. Il s’agit d’une actrice à la mode, la célèbre Riquette, des Fantaisies-Amoureuses, qui joue le rôle de la Providence à la diable, et qui séduit, à seule fin de les leur « repasser, » intacts et repentans, les maris infidèles des petites femmes du monde. Mais M. Meilhac lui-même n’a eu garde de prendre au sérieux ce sujet, et pour en discuter ici la vraisemblance, il faudrait avoir l’esprit bien gâté par la lecture de la Vie parisienne. Le sujet, évidemment, n’a servi que de prétexte, et ce qui est intéressant, ce qui est d’un art curieux, original, et consommé, c’est l’esquisse, ou le tableau des mœurs.

M. Meilhac en a rarement crayonné de plus amusant, qui fût ou qui parût d’une observation plus ingénieuse, plus juste, et surtout plus discrète. N’est-ce pas, en effet, le triomphe de l’art, que de nous obliger à convenir de la vérité de portraits dont nous n’avons pas vu les originaux? Et l’on n’est pas plus « manicure » que l’excellente Mme Crosnier dans le rôle de Mme Berlandet ; on n’est pas plus « baron d’Arnay La Hutte » que M. Raimond ; on n’est pas plus « homme du monde » et « de cercle, » que M. Baron, dans le rôle de Champcourtier, l’auteur amateur du Piston d’Hortense. Vous ne connaissez pas le Piston d’Hortense? Le temps de la représentation du cercle approchait, et la «commission littéraire » n’avait encore rien trouvé, quand quelqu’un dit à Champcourtier: «Eh! mais... vous... Champcourtier... pourquoi ne nous feriez-vous pas quelque chose ? » et Champcourtier répondit : « Parfaitement, je vous ferai quelque chose ; » et ce fut le Piston d’Hortense. Telle est à peu près la note, et tel est le ton du dialogue. Peu ou point de grosses plaisanteries, de ces plaisanteries moins spirituelles peut-être que bouffonnes où s’est égayée trop souvent la fantaisie intempérante de M. Meilhac, mais une ironie légère, subtile, à peine perceptible en quelques endroits, et à laquelle nous ne reprocherons que de manquer un peu de force et d’amertume. Pas de mots, non