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s’arranger pour n’être jamais en perte, et c’était le « tant mieux » qui l’emportait toujours. On vient de dire que la taille devait être directement perçue ; en fait, le mode de l’affermage si séduisant, si simple, était souvent, trop souvent appliqué à la taille comme aux autres sources du revenu public.

On voit donc aisément qu’après avoir subi, tout le long de son cours, tant de saignées successives, le Pactole ne pouvait se déverser que bien affaibli dans le réservoir de l’épargne et que les eaux devaient y être plus habituellement au-dessous qu’au-dessus de l’étiage. C’était, à vrai dire, le tonneau des Danaïdes ; et, ce qu’il y a de plus grave, il était vide non-seulement du contenu normal de l’année courante, mais même, phénomène qui paraît invraisemblable, de l’afflux éventuel des époques futures. En d’autres termes, les revenus des deux ou trois années prochaines étaient engagés ou déjà mangés même, parce que les fermiers accommodans avaient consenti à en faire l’avance. Cependant, telles étaient les exigences du service public d’une part, du service particulier de Mazarin de l’autre, que ces détestables et dangereux expédiens ne suffisaient pas encore ; il fallait revenir à des emprunts extraordinaires ; mais à qui emprunter ? Les fermiers d’impôts pouvaient avancer sur leurs traités parce qu’ils étaient assurés de rentrer dans leurs avances ; mais à prêter sans autres garanties que des assignations ou des billets de l’épargne, ils se refusaient et se récusaient avec la généralité des spéculateurs.

Qu’étaient-ce donc que ces prétendues valeurs dont les habiles gens faisaient fi ? Quand un créancier, un serviteur même de l’État n’avait pas la chance d’avoir une ordonnance de comptant, c’est-à-dire payable immédiatement en espèces, le comptable lui délivrait une assignation à valoir sur tel ou tel fonds de recette spécialement désigné au bas du précieux titre ; or il y avait de bons fonds et de mauvais fonds, et, pour les meilleurs même, des époques plus ou moins favorables, suivant l’aisance ou la difficulté des rentrées. Il en était ainsi ou à peu près des billets de l’épargne qui étaient remboursables à certaines échéances. Le plus souvent, quand l’assignation ou le billet remboursable se présentait à la caisse désignée, la caisse était vide, et l’infortuné porteur n’avait qu’à serrer son titre au cabinet ou à s’en défaire avec perte.

Il s’est toujours trouvé des spéculateurs pour acheter les valeurs dépréciées. En ce temps-là, les habiles faisaient le calcul que voici : avec de l’entregent, quelques accointances à la cour ou à la surintendance, ou mieux encore dans les bureaux de l’épargne, il était possible de faire changer de route aux assignations primitivement égarées vers de mauvaises recettes et de les diriger à coup sûr vers les bonnes ; de même, pour les billets en souffrance, on