que son père jaloux de Foucquet, procureur-général. Ce projet, ajoutait Colbert, devait être tenu dans le secret le plus profond, sans quoi le coupable s’empresserait d’anéantir les preuves de ses crimes ; mais, en attendant, il fallait vivre, et c’était le difficile. « Le roi, disait-il expressément, le roi n’a aucun crédit ; on ne traite pas avec lui dans la croyance qu’il doit faire banqueroute. Il ne se trouveroit pas, depuis dix ans, un homme qui, ayant 50,000 livres de patrimoine, se soit mis dans les affaires du roi et lui ait preste un sol. » Force était donc de subir encore un temps Foucquet, et même de lui faire bonne mine, « ce qui l’obligera de s’engager en son nom pour toutes les dépenses. S’il prétend avoir fait de grandes avances, il faut, par toutes sortes de moyens et de caresses, l’obliger de différer son remboursement jusqu’au retour de Son Éminence… Ce sera un moyen de retenir son esprit naturellement actif, inquiet et intrigant, au cas que Son Éminence prenne la résolution de lui donner la mortification de prendre la seule et entière direction des finances. » J’en suis fâché pour la grande mémoire de Colbert ; mais, quels qu’aient été les torts, je dirai, si l’on veut, les crimes de Foucquet, je ne peux pas m’empêcher de flétrir la perfidie de ce haineux factum.
Foucquet venait d’être appelé par Mazarin à Saint-Jean-de-Luz. Le service de la poste dépendait de la surintendance, et, en ce temps-là moins qu’à toute autre époque, le secret de la poste n’était pas impénétrable. En passant à Bordeaux, Foucquet fut rejoint par le courrier chargé du volumineux paquet de Colbert ; le paquet lui fut apporté, il l’ouvrit, copia le tout avec l’aide de Gour-ville, referma le pli, le fit rendre au courrier et se hâta de le suivre. Quand il arriva chez Mazarin, le 15 octobre au soir, le cardinal achevait à peine la lecture du factum. Foucquet commença par se plaindre doucement de Colbert, un ancien ami, plus vivement de Talon et de Herwarth, deux insubordonnés jaloux. Mazarin feignit la surprise : on ne lui avait rien dit contre le surintendant. Si l’on n’avait rien dit encore, reprit Foucquet, on n’allait pas tarder à dire ; Herwarth avait donné des mémoires à Colbert, Colbert avait travaillé là-dessus, et le cardinal allait avoir au plus tôt le résultat de ce travail ; Foucquet savait l’affaire de bonne source. D’abord interdit, Mazarin se mit à disculper Colbert ; Foucquet avait bien tort de s’en prendre à lui et de s’alarmer. Après être entré dans quelques explications sur les finances, le surintendant affirma qu’il ne demandait, pour sa part, qu’à s’entendre et à bien vivre avec l’homme de confiance du cardinal ; sur quoi celui-ci, après l’avoir gracieusement congédié, s’empressa d’écrire à Colbert que Foucquet n’avait que le soupçon de leur correspondance, que tout le mal venait de Herwarth et de ses propos indiscrets, qu’au surplus