Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenu absolument à l’écart de la politique et du monde officiel. Rarement ministre eut besoin de tant d’intrépidité pour prendre possession d’un portefeuille. Il dut commencer par avouer et régulariser devant le congrès l’avance clandestine de 35 millions de billets faite par son prédécesseur à la Banque nationale et à la Banque de la province de Buenos-Ayres. Cette question avait été portée au sénat par le chef éloquent de la minuscule opposition dans cette assemblée, un des principaux membres de l’Union civique, le docteur don Aristobulo del Valle. M. Uriburu eut à faire coup sûr coup d’autres révélations graves. Le temps des subterfuges était passé. Il lui fallut déclarer, par exemple, que l’état réel du trésor différait du tout au tout du tableau présenté peu auparavant par le président de la république à l’ouverture des chambres, et demander, pour pouvoir payer les services les plus indispensables, que la moitié des droits de douane fût acquittée en or. Pourtant on sentait dans ses discours tant de franchise et de décision que la confiance renaissait malgré tout, et que les banquiers anglais lui souscrivirent ad référendum un emprunt de 50 millions de piastres.

Plus il gagnait l’opinion par la netteté de ses aveux, plus il encourait l’animosité des familiers de la présidence. Quand ils crurent l’emprunt anglais conclu, ils eurent hâte de se débarrasser de cet homme sincère. Le conflit vint à propos de la nomination du président de la Banque nationale. C’était là où le bât les blessait ; permettre à des regards indiscrets de pénétrer dans les arcanes de la Banque, c’était étaler au grand jour les plaies de l’oligarchie régnante. Encore si ce n’eût été que cela ; mais c’était exposer à des poursuites les favoris insolvables. Aussi le docteur Pacheco, délogé du ministère, s’était-il réfugié et fortifié dans ce poste comme un général qui, obligé d’évacuer le corps de place, se retranche dans la citadelle. Quand M. Uriburu, après avoir rappelé au docteur Juarez leurs conventions formelles à cet égard et reçu son acquiescement à l’exécution de cette mesure, envoya demander au président de la Banque sa démission, le docteur Pacheco fit une réponse qui mérite d’être citée. « Pourquoi, s’écria-t-il, ne de-mande-t-il pas tout de suite la démission du président de la république ! » Le mot était profondément juste, du reste. C’est bien à cela que devait aboutir le régime financier dont le docteur Pacheco a été le principal complice.

En cette occasion émouvante, le clan des intimes le soutint coûte que coûte. On fit entendre au docteur Juarez que c’était abdiquer que de livrer la Banque à l’opposition haineuse qui avait fait irruption dans le gouvernement, qu’il n’y a pas d’engagement qui