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l’extrême l’agitation qu’elle avait provoquée. On savait que l’âge et l’expérience l’inclinaient de plus en plus vers l’application de cette maxime souvent citée d’un de ses discours : « Le plus mauvais des gouvernemens vaut mieux que la meilleure des révolutions. » Il est vrai que, quand il prononça cette phrase, nul au monde n’eût pu prévoir qu’on en viendrait un jour au gouvernement d’un Juarez.

Il y avait lieu de regarder son voyage comme le point de départ d’une opposition moins strictement légale, et dès qu’on le vit en route, tout le monde s’attendit à du nouveau. On n’attendit pas longtemps.

Aux symptômes précurseurs d’une révolution, le ton violent de la presse, l’état d’excitation des esprits, s’ajoutèrent bientôt des signes plus clairs d’une vaste conjuration. Un jour, c’était un des bataillons de la garnison de Buenos-Ayres que sur certains indices on faisait partir en toute hâte pour le Chaco. Peu après, c’étaient un général, un colonel et un major que l’on arrêtait comme suspects. Croyant tout découvert, le major, dans son premier interrogatoire, commit l’imprudence de dire : « Oui, je suis un conjuré et m’en vante, fier de partager le sort du chevaleresque général Campos. » Il refusa du reste de donner d’autres éclaircissemens. Le général don Manuel Campos et le colonel Figueroa ne savaient pas de quoi on voulait leur parler. Ils étaient de l’opposition et ne s’en étaient jamais cachés ; mais c’était leur droit, ils n’étaient pas en activité de service. Quant à la rébellion, ils n’y avaient pas même songé. On ne les tirait pas de là. On n’avait d’autre prouve du complot que la dénonciation d’un major, qu’un de ses camarades avait cherché à y faire entrer en mettant en avant quelques noms ; mais l’officier le plus compromis par ces ouvertures s’était soustrait aux recherches. La presse d’opposition mit tant d’ensemble et de bonne humeur à se moquer de ces poursuites, les militaires qui en étaient l’objet y opposaient un sang-froid si tranquille, l’instruction avançait si peu, que ceux qui la dirigeaient finirent par croire qu’en arrêtant le général Campos ils avaient fait un pas de clerc. On cessa de le tenir au secret, on lui permit de voir sa famille et ses amis dans la caserne où il était consigné, d’y manger à la table des lieutenans et capitaines. Ces jeunes gens lui firent grande fête, et il s’aperçut que, sans que le chef de corps s’en doutât, ils jugeaient l’inconditionalisme aussi sévèrement que lui. Un des capitaines de ce bataillon faisait partie d’une loge politique d’officiers. Cette loge a joué un grand rôle dans la révolution. Elle se composa d’abord de quatre membres, puis de trente-trois, elle en comptait alors à Buenos-Ayres une centaine. Ils s’étaient engagés sur l’honneur à s’unir au peuple pour renverser Juarez et