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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/664

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Il a fait tout cela en se jouant, et presque en se cachant, n’étant pas bien sûr qu’il fût digne d’un académicien d’écrire sous la dictée de ma Mère l’Oye. C’est elle pourtant, la commère vénérable, qui a mené Perrault à la gloire. C’est à elle qu’il doit l’immortalité, ce n’est pas au poème de Saint Paulin, ni aux Hommes illustres, ni même au Parallèle des Anciens et des Modernes. Le jour où cette Académie française, à laquelle il craignait de manquer de respect en signant le Chat Botté, a voulu lui rendre un juste hommage, elle n’a pas demandé l’Éloge de Perrault, mais celui des Contes de Perrault.

Jamais homme, pourtant, ne paraissait moins destiné par la nature à redire avec ingéniosité des choses difficiles à croire. Ils étaient quatre frères, tous quatre pétris d’esprit, mais encore plus irrévérens, nés avec le don de la parodie, curieux d’idées nouvelles, possédés de la passion de tout comprendre, gais, actifs, au demeurant les plus honnêtes gens du monde. Dans leur jeunesse, trois d’entre eux s’étaient amusés avec de grands éclats de rire à travestir le sixième livre de l’Enéide. Nicolas, qui fut depuis théologien, docteur en Sorbonne et janséniste, faisait les vers avec Charles ; et Claude, à qui l’on doit la colonnade du Louvre, illustrait le manuscrit de dessins à l’encre de Chine.

Ce n’était qu’une espièglerie et Charles n’était alors qu’un écolier, mais il n’entra jamais plus avant dans l’intelligence des anciens. L’âme antique ne se révéla point à lui. Il n’eut jamais le sens de la poésie héroïque, parce qu’il n’eut jamais celui des temps héroïques. Il comprenait trop bien les beautés du palais de Versailles et il les plaçait trop haut dans son admiration, pour faire grand cas de la chambre nuptiale construite par Ulysse à grands coups de hache. Il avait une foi trop profonde aux mérites incomparables du siècle poli où il vivait, pour s’intéresser aux deux civilisations qui luttèrent sous les murs de Troie et qui lui paraissaient toutes deux d’effroyables barbaries. Le jeune auteur de l’Enéide burlesque devint sans secousse, en suivant sa pente naturelle, le coryphée des modernes dans leur fameuse querelle avec les partisans des anciens. Il était fidèle à lui-même lorsqu’il lisait à l’Académie, le 27 janvier 1687, le petit poème intitulé le siècle de Louis le Grand, où il déclarait qu’il avait manqué à Homère d’apprendre la mesure et la politesse à la cour de Versailles :


Cependant si le ciel, favorable à la France,
Au siècle où nous vivons eût remis ta naissance,
Cent défauts, qu’on impute au siècle où tu naquis,
Ne profaneraient pas tes ouvrages exquis.