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Guinée, au Cameroun et à Togo. Ces premières tentatives coloniales enflammèrent les imaginations allemandes ; le grand chancelier leur prêta un appui résolu ; les cartographes, gens fort indiscrets dans l’emploi des couleurs, trahirent vite les ambitions de leur pays. Sur la carte de Liebenow, dressée à Berlin en 1886, on remarquait déjà de larges bandes roses, — le rose est la couleur germanique, — prolongées sur toute la partie orientale de l’Afrique médiane, jusqu’aux limites de l’état neutre du Congo. Ces bandes reprenaient de l’autre côté, sur l’Atlantique, avec la même intempérance. Que leur manquait-il pour se rejoindre à l’intérieur ? Un peu de ce même rose sur l’état du Congo. Or, on ne sait jamais combien de temps un état indépendant, un état belge, se maintiendra belge et indépendant ; si quelque jour, par hypothèse, le Congo perdait ces deux qualités, l’Allemagne ne voudrait-elle pas réunir ses deux têtes de pont, d’un Océan à l’autre ? Une Inde gigantesque, coupant l’Afrique par le milieu, assurerait à ses possesseurs l’hégémonie sur tout ce continent.

Voilà le rêve. Dans la réalité, je m’empresse de le dire, rien ne nous autorise à prêter au gouvernement impérial ces appétits de cartographe glouton. Mais la réalité est déjà fort imposante. La Compagnie allemande de l’Afrique orientale, substituée en 1885 à l’ancienne Société coloniale de Hambourg, reprit les opérations de sa devancière et les étendit par des traités avec les roitelets nègres, vassaux nominaux du Zanzibar. MM. Peters et Wismann poussèrent à main armée dans l’intérieur, malgré les réclamations de Séid Bargasch. Le chancelier prit fait et cause pour eux, les vaisseaux allemands s’embossèrent devant Zanzibar ; les acquisitions de la compagnie furent déclarées territoire d’empire. L’Angleterre s’émut, des négociations très laborieuses s’engagèrent entre les deux puissances. En 1886, un premier arrangement sanctionna les prétentions allemandes, sauf sur le littoral ; l’administration de toute la bande côtière, à l’exception de deux ports, demeurait confiée à la Société anglaise de l’est africain. Ainsi murée du côté de l’Océan, la future colonie germanique n’était pas viable ; le traité de partage conclu cette année a régularisé la situation, aux dépens du sultan de Zanzibar ; ce traité concède à la Grande-Bretagne le protectorat sur les îles du sultanat ; la Société anglaise de l’est africain reporte ses droits sur la zone du littoral comprise entre le fleuve Tana et Wanga ; une ligne qui remonte obliquement de Wanga au nord du Victoria-Nyanza limite dans l’intérieur les possessions britanniques et les possessions allemandes. Ces dernières partent de l’Océan-Indien sur une longueur de six degrés, de Wanga au cap Delgado ; elles s’étendent dans les terres jusqu’aux lacs Victoria et Tanganyka, qui deviennent virtuellement allemands ;