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Sous une forme plus enveloppée et plus sibylline, Dante reprend dans ces terzines la théorie qu’il a développée dans le Convito. Et M. Scartazzini, embarrassé par le premier vers, et du reste par le sens assez clair du morceau, entreprend de le concilier avec son système : « Si Dante, dit-il, avait su quelque chose de sa noblesse avant de monter à la planète Mars, il ne s’en serait pas vanté là-haut. Mais il s’en vante au ciel, parce que c’est là qu’il en entend parler pour la première fois. Il est nouveau pour lui que son trisaïeul Gacciaguida ait été fait chevalier par l’empereur Conrad. Conséquemment, il n’en savait rien sur la terre, et Dante a la conscience de raconter des choses que personne ne connaît. Mais nous avons là une fiction poétique. Très bien. Et qu’enseigne cette fiction ? Que la famille de l’Alighieri, non-seulement n’était pas tenue pour noble, mais ne savait elle-même rien de sa noblesse ; qu’ensuite Dante, en étudiant l’histoire de sa famille, y trouva qu’un de ses ancêtres fut fait chevalier ; qu’il ne se complut pas peu dans une telle découverte et se vanta d’avoir eu un tel ancêtre. Voilà ce qui résulte de ces vers. »

On reconnaîtra que cela est beaucoup moins clair que le texte invoqué, duquel il semble au contraire résulter avec la dernière évidence que Dante était noble ou, en tout cas, qu’il entendait passer pour tel : petite noblesse, si l’on veut, — poca nostra nobiltà di sangue, — mais noblesse honorable, noblesse que le trisaïeul avait bien gagnée à la croisade, et que l’arrière-petit-fils se sentait l’âme assez haute pour relever encore par la noblesse des sentimens.

On ne peut d’ailleurs remonter la généalogie de Dante plus haut que ce Cacciaguida ; mais, à partir de lui, on la suit très clairement, et quelques documens permettent même de contrôler l’exactitude des paroles que le poète prête à son trisaïeul, et de compléter ses explications. On apprend ainsi que Cacciaguida, ayant épousé une femme du nom d’Alighieri, originaire de la vallée du Pô ou plus probablement de Ferrare, eut deux fils, Alighiero et Preitenitto. Alighiero, à son tour, eut deux fils : Bello et Bellincione, qui en eut quatre. L’un d’eux, nommé Alighiero comme son grand-père, fut le père de Dante :


Basti de’ miei maggiori udirne questo :
Chi ei si’ furo ed onde venner quivi,
Più è tacer che ragionare onesto…


Il y aurait un grand intérêt à réunir quelques détails certains sur les premières années de Dante, sur son enfance, son